lundi 25 juin 2012

Rio+20 / Des sociétés durables : vers un nouveau « NOUS »


Déclaration de la Communauté  internationale bahá’´ie
à la Conférence des Nations unies sur le développement durable
20 juin 2012
Rio de Janeiro, Brésil

Alors que les nations et la société civile se réunissent à la Conférence Rio+20 afin de décider de la prochaine étape à prendre pour élaborer une nouvelle vision du développement durable, l’élan créé par les préparatifs à la conférence ont déjà apporté de nouveaux niveaux de questionnement et de collaboration. Les préparatifs de cet événement ont stimulé la réflexion sur les paradigmes économiques, les modes de gouvernance et les indicateurs de progrès, sur le rôle de la jeunesse et sur le but réel du développement. L’ampleur de la participation accordée par les Nations unies à la société civile dans le déroulement de la conférence est sans précédent. Beaucoup de voix doivent encore se faire entendre, mais un appel est lancé aux gouvernements pour qu’ils saisissent l’occasion qui se présente à eux : démontrer leur générosité et leur résolution, éviter tout esprit partisan et toute propagande, afin d’élaborer un cadre aussi visionnaire qu’ambitieux favorisant l’épanouissement des hommes.  

Les cadres économiques et institutionnels qui seront élaborés à Rio exigeront la remise en cause des relations qui structurent la société : relations entre les États-nations, à l’intérieur des communautés nationales, entre les individus et les institutions sociales, entre les individus eux-mêmes et entre l’humanité et son environnement naturel. Un développement durable suppose qu’il existe une relation entre les générations présentes et futures qui soit non seulement géographique mais aussi temporelle. Une exploration sincère de ces relaltions permettra d’évaluer les mérites et les insuffisances de tout accord institutionnel qui sera proposé et, plus important encore, nous aidera à clarifier nos aspirations pour un futur meilleur.
Les idées qui suivent sont  des contributions proposées sur ces thèmes à la conférence.

Responsabilité réciproque
Un aspect fondamental  de la conception et de la mise en œuvre d’un nouveau cadre économique et institutionnel, est la responsabilité réciproque et mondiale. C’est l’idée que chacun de nous en entrant dans ce monde est sous la responsabilité de l’ensemble des hommes et, en retour chacun porte une part de responsabilité pour le bien-être de tous [1] Ce principe de responsabilité réciproque pose la question de l’efficacité de l’expression actuelle de la souveraineté des États. Il récuse la base éthique des loyautés qui ne dépassent pas les limites de l’État-nation. Si le multilatéralisme a renforcé et étendu la coopération entre les États-nations, il n’a pas supprimé les luttes pour le pouvoir qui dominent leurs relations. La simple coopération d’acteurs égoïstes dans une entreprise multilatérale ne favorise pas de résultats favorables pour l’ensemble de la communauté des nations. Aussi longtemps qu’un groupe de nations considèrera que ses intérêts sont opposé à un autre groupe, les progrès seront limités et peu durables.

La responsabilité réciproque est un concept qui peut s’appliquer à beaucoup d’autres domaines qui préoccupent l’humanité. Les Droits de l’Homme, par exemple, pourront atteindre leur expression suprême lorsqu’on les envisagera dans le cadre de la responsabilité réciproque. Ils formeront un cadre pour les relations humaines dans lequel tous les peuples pourront accomplir leur potentiel et où chacun fera en sorte que les autres puissent faire de même. La mutation vers des moyens de production et des manières de consommation durables en est un autre exemple ; exprimé simplement, consommer plus que sa juste part c’est diminuer les ressources dont les autres ont besoin.

Ce principe de responsabilité réciproque implique la nécessité d’une perspective intergénérationelle dans laquelle le bien-être des générations futures sera pris en compte à tous les niveaux de prise de décision. Des suggestions comme la création de Médiateurs ou de Haut-Commissaires pour les générations futures sont des exemples d’efforts pour traduire ce principe en actes. Ces institutions devraient se charger d’envisager à la fois les intérêts à long terme des jeunes et des générations à venir et les intérêts économiques et politiques et les besoins à court terme

L’élimination des extrêmes de richesse et de pauvreté
Aujourd’hui, plus de 80 % de la population mondiale vit dans des pays où les différences entre les revenus augmentent constamment. Alors que des mesures d’éradication de la pauvreté ont amélioré le niveau de vie dans certaines parties du monde, les inégalités sont encore très répandues. Nombreux et profonds sont les déficits du bien-être humain endémiques dans les pays pauvres comme dans les riches. N’oublions pas que près de 800 millions d’adultes ne savent ni lire ni écrire, que deux milliards et demi de gens sont privés des conditions sanitaires élémentaires, que près de la moitié des enfants du monde connaissent la pauvreté et que près d’un milliard de gens n’ont pas assez à manger. D’autre part, quelque milliers d’individus contrôlent près de 6 % du produit mondial brut. Ces défauts structurels du système économique et de ses institutions sont symptomatiques et doivent être corrigés.

Il est temps d’entreprendre un examen approfondi de la manière dont une extrême concentration de la richesse altère les relations à l’intérieur des nations et entre elles. Ces extrêmes détériorent la vitalité économique, affaiblissent la participation dans le processus politique et la prise de décision, empêchent de se répandre le flot de la connaissance et de l’information, isolent les gens et les communautés et déforment la perception des capacités humaines. Les nations doivent acquérir et dépenser la richesse d’une manière qui permette à tous les peuples du monde de prospérer. Les structures et les systèmes qui laissent quelques individus acquérir une richesse excessive pendant que la majorité des gens sont pauvres doivent être remplacés par des dispositions qui soutiendront la création de la richesse d’une manière qui favorise la justice.

Créer des modèles durables d’une activité économique qui aille du niveau local au niveau mondial, valable dans les zones urbaines et rurales, exigera une réorientation complète des principes et des institutions qui gèrent la production et la consommation. Il faudra se concentrer sur les initiatives qui encouragent la création et la distribution de la richesse dans les régions rurales ainsi que les politiques qui empêchent les forces de la mondialisation économique de marginaliser les initiatives locales. Parmi les approches prometteuses on peut citer l’encouragement de la capacité locale à innover techniquement et le renfort du respect pour le savoir d’une communauté ou d’une culture. 

Le progrès et le bien-être de l’humanité dans son ensemble exigent le développement et la mise en œuvre de modèles économiques qui reflèteront le rôle central que jouent les relations dans la vie humaine. Aux activités et aux programmes qui détériorent les environnements sociaux et naturels il faut retirer les ressources pour les atttribuer aux efforts de ceux qui créent des systèmes qui encouragent la coopération et le mutualisme.

L’éventail richesse-pauvreté a encore beaucoup à nous apprendre. Il faut écouter ce qu’ont à dire de leur vécu tous les gens — y compris les plus pauvres. Plus importantes que les variables économiques, les ressources spirituelles et sociales qui permettent au plus grand nombre de vivre leur vie doivent être mieux comprises. L’extrême richesse aussi est peu étudiée. La richesse étant de plus en plus mondialisée, la plupart des très grandes richesses s’évadent des contrôles et des contraintes nationales et n’apparaissent pas dans les statistiques gouvernementales. Quelles structures permettent à cette richesse extrême de toujours exister ? Comment les systèmes politiques et économiques la font perdurer ? Quelles identités et quelles qualités résultent de sa présence continuelle ? Il est nécessaire d’acquérir une meilleure compréhension de ce qu’impliquent les mouvements mondiaux de cette richesse et comment elle est utlisée ; de la sorte, les actions des gouvernements et de la communauté internationale pourront avancer en toute connaissance de cause et d’une manière constructive.

La consultation
Les problèmes soulevés par la promotion d’une vision d’un développement durable sont très complexes. Il est très improbable qu’on puisse les résoudre en leur imposant des théories simplistes et des formules réductrices. Il faut absolument trouver un processus efficace d’analyse des problèmes et de prise de décision qui encourage une participation réelle, qui facilite l’action collective et qui réagit à la complexité inhérente aux efforts consacrés à forger des systèmes et des structures durables. À ce propos, nous offrons un modèle de consultation basée sur le principe d’une prise de décision collective pratiquée par les communautés baha’ies de par le monde.

Il est évident qu’un simple changement dans le mode de prise de décision collective ne suffira pas à lui seul à supprimer la pauvreté et à encourager la durabilité. Néanmoins, il est de plus en plus clair que les structures actuelles de prise de décision dont sont exclues la majorité des peuples du monde, qui perpétuent les conflits, qui insistent trop sur les préoccupation d’une minorité puissante et qui sont trop souvent soumises à des luttes de pouvoir politique, ont prouvé qu’elles n’étaient pas adaptées à la tâche de créer un monde meilleur dans lequel tous auront la possibilité de prospérer.

La participation
Une approche baha’ie du développement se base sur la conviction que tous les peuples ont, non seulement le droit de bénéficierd’une société propère matériellement et spirituellement, mais qu’ils ont aussi l’obligation de participer à sa construction. Pour que la consultation soit efficace il faut qu’elle encourage les gens à participer au choix de la direction que prendra leur communauté — soit en analysant des problèmes précis, soit en comprenant mieux un problème particulier, soit en explorant diverses actions possibles, soit enfin en prenant collectivement des décisions. Il est très important de faciliter la participation réelle de ceux qui sont traditionnellement exclus du processus consultatif, notamment les pauvres.

Un cadre unificateur
Pour que le progrès au plan international soit durable il doit prendre place dans un cadre qui encourage un accès progressif à une unité plus profonde de la vision comme de l’action parmi ses participants. Plutôt que représenter le triomphe momentané d’une seule personne, ou d’une seule faction dans un environnement compétitif, chaque pas en avant fera partie d’un processus collectif d’apprentissage dans lequel les institutions internationales, les États et la société civile avanceront ensemble vers plus de compréhension.

Dans un tel cadre, les idées et les suggestions n’appartiennent pas à une seule personne ou une seule entité. Le succès ou l’échec éventuel de ces suggestions ne reposent pas sur la seule réputation, l’importance sociale ou l’influence d’un individu ou d’une institution. Ces propositions et ces opinions appartiendront au contraire au groupe qui les adoptera, les révisera ou les rejettera selon les besoins.
Une discussion franche et sincère produira souvent des points de vue différents, surtout si l’on considère la diversité des cultures, des histoires et des expériences qu’on trouve au plan international. Considéré d’un œil constructif, cette diversité d’opinions peut dévoiler des convictions erronées et mettre en lumière de nouveaux concepts, de nouvelles idées. Dans cet esprit, les participants exploreront différents points de vue de manière à encourager de plus hauts niveaux de compréhension partagée et cultiveront une unité de pensée et d’action à l’intérieur du groupe.

La consultation décrite ici est en fait une manière de délibérer unifiante plutôt que clivante. Elle cherche non seulement à déterminer la réalité d’une situation donnée mais aussi à renforcer les liens d’union entre les participants. Au niveau international cette approche pourrait aider des États à travailler ensemble plus efficacement pour le bien commun et à reconnaître puis résoudre les faiblesses qui dans le système multilatéral freine le progrès.

Pour nous Rio+20 est une étape de plus dans un processus qui se déroule progressivement et dans lequel les peuples du monde apprennent à trouver ensemble des solutions.  Les liens d’affection, de confiance et de souci réciproque qui lient ensemble les individus croissent régulièrement pour englober un secteur de plus en plus large de la société humaine, un nouveau nous. Ce nouveau nous n’est pas une abstraction. C’est la compréhension que nous devons constamment encourager nos communautés, nos institutions sociales et nous-mêmes à réévaluer et à raffiner nos modes de pensée et nos interaction afin d’améliorer le progrès du développement de l’homme dans le monde entier.


traduction Pierre Spierckel le 21 juin 2012