vendredi 21 juin 2024

 

À Mona et à ses neuf compagnes

pendues à Chiraz en juin 1983







À Chiraz au printemps


La rose embaume l’air à Chiraz au printemps.

Le rossignol y chante la beauté du monde.

Le vieux bourreau, conscient de son rôle important,

Supplie les condamnées, insiste encore et gronde.


Une à une il leur dit : si tu renies, tu vis !

Un à un, leur regard, coloré d’un sourire,

Couvre le vieux bourreau, qui croit au paradis,

D’un nuage d’amour : Nous ne pouvons le dire.


Le vieux bourreau insiste : si, tu peux mentir !

C’est coutume courante au pays des mollahs :

Affirmer des idées que l’on pourrait haïr

Et, pour sauver sa vie, être ce qu’on n’est pas.


« D’être ce que je suis je ne peux transiger.

Bourreau, tu es mon frère et rien ne peut changer

L’amour que j’ai pour toi, toi qui crois si bien faire.

Mais je suis à Bahá, je ne peux pas me taire.


« Depuis toujours Dieu parle et parlera toujours.

Ses Envoyés sont tous preuves de son amour.

Et le dernier en date est Bahá. Il nous guide,

Éblouissant et clair, glorieux et splendide :


« La terre est un pays où tous sont citoyens,

La femmes et l’homme, égaux, ont tous le même lien

Avec Dieu, le Très-Haut, que l’on doit tous aimer

Car c’est lui qui nous guide par ses Envoyés.


« Il dit, – c’est Dieu qui parle : recherchez l’unité,

N’ayez qu’un seul projet : sauver l’humanité.

Et pour atteindre au but, œuvre monumentale,

Je ne veux plus de clercs. Oyez : c’est Dieu qui parle !


« Le schisme et l’hérésie viennent d’eux, et la guerre,

Ce sont eux qui, retors, vous poussent à la faire.

Mon message est très simple : avant tout l’unité !

Écoute et compassion, partage, égalité…


« Bourreau, tu crois bien faire en nous tuant ce jour.

Tes ordres sont très clairs : pendez-les tour à tour

Pour que tremble une au moins : ce ne sont que des femmes,

Voir leurs sœurs étranglées étouffera leur flamme…


« Pauvres clercs ignorants ! L’amour nous a tout pris.

Qui a peur de mourir n’est pas un bahá’í.

Bourreau, sois généreux et pends-moi la dernière :

Je veux voir mes neuf sœurs entrer dans la lumière !


« Si tes mains tremblent trop, ma main est ferme et sûre

Cette corde et ce nœud me sont, je te l’assure

Comme un signe du ciel et je te dis adieu.

Je ne meurs pas, je vis pour la Gloire de Dieu ! »


Ainsi mourut Mona, au sourire enchanteur.

À Chiraz au printemps l’air embaume les fleurs,

Le rossignol gringotte à la lune croissante.

À Chiraz au printemps on pend des innocentes.



Pierre Spierckel

15 juin 2024