Transformer la réalité
La communauté bahá’íe et la création d’une nouvelle réalité
Moojan Momen
traduction Pierre Spierckel
Depuis que Peter Berger et Thomas Luckmann publièrent en 1967 The social construction of reality [1] les sociologues et les érudits qui traitent de ces questions acceptent l’idée qu’une culture (symboles, concepts, institutions et rituels) est créée collectivement et socialement par des générations d’êtres humains, culture que les générations suivantes considéreront comme une réalité allant de soi et inaltérable. Aujourd’hui, ce processus a été étudié exhaustivement par les sociochangent et par d’autres disciplines académiques dans le cadre de la sociologie de la connaissance. Un aspect particulièrement intéressant de cette étude est l’idée élaborée par Hayden White dans son ouvrage Tropics of discourse [2], des tropes en histoire dans le cadre desquels un historien écrit, ce qui établit ensuite quels aspects de la documentation historique vont être examinés et comment ils vont être vus. Dans un domaine parallèle, un autre développement est la description de Thomas Kuhn dans The structure of scientific revolutions [3] de la manière dont les scientifiques passent d’un cadre scientifique à un autre comme, par exemple, le passage de la version ptolémaïque de l’univers à la version copernicienne. C’est ce qu’il appelle le glissement de paradigme. Dans mon ouvrage The phenomenon of religion [4] j’ai tenté de montrer que la conversion religieuse, qui est une transformation de réalité religieuse peut, de nombreuses manières être comparée aux transformations décrites par Kuhn comme un glissement de paradigme.
Les études universitaires sur la culture se sont focalisées sur des facteurs tels que les innovations techniques, l’environnement et l’influence d’autres cultures, qui produisent une transformation de culture et donc une nouvelle réalité sociale. Je voudrais ici considérer un aspect de ce concept de construction sociale de la réalité et l’idée d’une transformation de cette réalité qui n’ont pas été beaucoup étudiés : la question de savoir comment un groupe peut décider délibérément de transformer la réalité. En suivant ses textes explicites, cet article considèrera la communauté mondiale bahá’íe qui s’est lancée dans ce projet précis : transformer la réalité, transformer la manière dont les êtres humains voient le monde. Il y a plus de cent ans, son fondateur Bahá’u’lláh (1817-1892) parlait d’un nouvel ordre mondial [5] et interprétait les prophéties bibliques de la fin du monde et du jour de la résurrection comme étant des références à la fin d’un monde culturel et religieux et à la naissance d’un nouveau [6].
Bahá’u’lláh cherche à transformer la réalité de nombreuses manières. Il affirme que son but premier est de créer une nouvelle conscience mondiale en sorte que les êtres humains cessent de penser en termes d’identité nationale, ethnique, religieuse ou de caste et pensent en termes d’une seule identité mondiale nouvelle : La terre n’est qu’un seul pays et tous les hommes en sont les citoyens [7]. La façon de voir la nature humaine comme fondamentalement belliqueuse et de nature compétitive doit aussi être transformée. L’idée que la guerre est inhérente à la vie humaine fut renforcée par les idées sur l’évolution darwiniste et son concept de lutte pour survivre. ‘Abdu’l-Bahá (1844-1921), le fils de Bahá’u’lláh et son successeur à la tête de la religion bahá’íe, au cours de ces voyages dans toute l’Europe et en Amérique du Nord dans les années précédant la Première guerre mondiale, avertit des dangers de cette idée et demanda aux nations du monde de se détourner de la voie de la guerre pour adopter une nouvelle manière de penser. Pendant son séjour à Londres, ‘Abdu’l-Bahá expliqua :
Pendant six mille ans les nations se sont détestées. Il est temps maintenant d’arrêter la guerre. La guerre doit cesser. Unissons-nous, aimons-nous les uns les autres et attendons les résultats. Nous savons que les effets de la guerre sont mauvais. Faisons une expérience, essayons la paix et si les résultats de la paix sont mauvais nous pourrons alors décider qu’il vaut mieux retourner à l’état de guerre ! Mais faisons d’abord l’expérience. Si nous voyons que l’unité apporte la lumière nous continuerons. Depuis six mille ans nous marchons sur le côté gauche du chemin ; marchons sur le côté droit maintenant. Nous avons connu de nombreux siècles d’obscurité, avançons vers la lumière [8].
‘Abdu’l-Bahá parla des besoins de transformer notre univers symbolique afin de provoquer une transformation de la réalité. Concernant le sens des termes en relation avec la guerre et la compétition, par exemple, il expliqua le sens du mot victoire pour la cause bahá’íe : Sa victoire est celle de se soumettre et de céder, et sa gloire éternelle, c’est son désintéressement [9] :
En conséquence, aujourd’hui la victoire n’est pas et ne sera pas contre qui que ce soit, ni une lutte avec l’un ou l’autre, mais d’une manière plus agréable, c’est-à-dire une victoire sur la cité du cœur humain qui est dominée par les armées de l’égoïsme et de l’envie qui sera conquise par les épées des paroles de sagesse et les exhortations [10].
De même, ‘Abdu’l-Bahá transforma le concept de compétition et son rôle habituel dans une société compétitive, celui d’une quête du pouvoir, en suggérant de le voir comme une course dans le service aux autres : Rivalisez les uns avec les autres dans le service de Dieu et de sa cause. Voilà en vérité ce qui vous est profitable en ce monde et dans celui à venir [11]. Pour ‘Abdu’l-Bahá, le but d’une ambition personnelle et la source de la gloire la plus grande n’est pas de prendre le pouvoir et d’exercer un contrôle sur les autres, mais d’exceller dans le service consacré à l’amélioration et l’édification des hommes [12] ainsi qu’à la cause de la Paix majeure [13].
La réalité comme structure sociale hiérarchisée
Les enseignements bahá’ís essaient de transformer la réalité sociale de nombreuses façons. Pour ne pas faire trop long, nous nous concentrerons sur un domaine pratique en particulier : les transformations que les enseignements bahá’ís essaient d’instituer dans la structure sociale et les relations de pouvoir. L’avantage c’est que nous pouvons ici considérer non seulement les écrits de la religion bahá’íe mais aussi les étapes pratiques que prennent les communautés bahá’íes sur un plan local.
Depuis quelque cinq mille ans les êtres humains vivent dans des villes [14]. Passer d’une vie dans de petites communautés dispersées à une situation où un grand nombre de gens se protège derrière les murailles d’une ville a provoqué une profonde transformation dans les affaires humaines, dans les structures sociales et dans la conscience humaine. La profondeur de cette transformation est inscrite d’ailleurs dans le langage même. Le mot civilisation et tous ceux qui connotent un progrès humain et culturel viennent du mot latin civis qui veut dire cité et le mot politique et tous ceux qui connotent un ordre social viennent du mot grec polis qui veut dire lui aussi cité. La principale transformation de la société humaine a été le passage d’une société, qui existe encore aujourd’hui dans quelques sociétés premières [15], structurée horizontalement avec beaucoup de consultation entre les anciens, à une société à la structure beaucoup plus pyramidale, plus autoritaire, avec en général une seule personne (ou un petit groupe) au sommet de la pyramide et les masses populaires n’ayant que peu à dire dans le processus de décision sociétale. Et cette structure pyramidale se retrouve aussi dans les affaires, l’industrie, la religion, la plupart des associations et même dans la plupart des familles. Au sommet de la pyramide sociale en Europe et en Amérique on trouve quelques membres de la classe moyenne ou des membres de la haute société. Le restant de la classe moyenne de la haute société les soutient. C’est ce petit groupe qui conserve son pouvoir hégémonique sur la base de la pyramide qui se compose de tous les autres. En fait, si l’on considère que la moitié de la société est composée de femmes et qu’on y ajoute les divers groupes ethniques et autres classes sociales, on voit que dans les sociétés occidentales où les individus sont soi-disant égaux seul un petit pourcentage est au sommet de la hiérarchie sociale et bénéficient de ses bienfaits et de ses avantages pendant que la majorité est très loin de leur être égale.
On connaît et on critique les défauts de la nature pyramidale et hégémonique de la société humaine depuis plus de cent ans [16], critique qui s’est accentuée récemment, les gens reconnaissant de plus en plus les inconvénients de la structure hiérarchique qui s’accumulent d’autant plus que les attitudes et les valeurs qu’elle nourrit s’accroissent dans les entreprises et jusque dans les familles. Les féministes assimilent la société patriarcale (où les hommes dirigent) dans laquelle nous vivons, à sa structure pyramidale et très compétitive (par nature les femmes n’ont pas cet esprit de compétition et seront donc toujours moins bonnes dans un environnement de forte compétition ; elles sont bien meilleures dans un environnement coopératif et de travail social [17]) et l’accusent aussi de générer ces attitudes qui donnent lieu à la violence domestique et à la violence contre les femmes en général [18]. de même, les écologistes et les activistes antimondialisation pointent la nature très compétitive de l’industrie comme cause première de la pollution et des mauvaises attitudes sociales des entreprises (telles que la délocalisation des emplois dans les pays où l’emploi et les règles écologistes sont inférieurs sans se préoccuper des conséquences sociales) [19].
Cela dit, il est plus facile de critiquer les sociétés hiérarchisées que de faire ce qu’il faut pour les transformer. De nombreuses tentatives furent faites pour transformer la structure pyramidale de la société en une société plus égalitaire et plus horizontale. La démocratie devait produire ce résultat et, malgré ses quelques succès, la structure commune aujourd’hui dans de nombreuses sociétés démocratiques est formée d’un président puissant et d’une petite élite qui tient tout le pouvoir pour un certain nombre d’années. Autrement dit, la structure pyramidale subsiste. Seuls les gens au pouvoir changent de temps en temps. La Révolution française et les diverses révolutions communistes furent toutes faites pour créer une société égalitaire. Elles échouèrent, n’ayant réussi qu’à remplacer un groupe au sommet de la pyramide par un autre.
Une société hiérarchisée ou hégémonique est très stable et difficile à transformer pour trois raisons. Premièrement, l’image pyramidale du monde est vue comme une réalité allant de soi, la norme inaltérable de la société humaine [20]. Ceux qui prétendent le contraire, qui disent qu’il est possible de créer une société non-hiérarchisée basée sur la coopération sont considérés comme des simples d’esprit, des rêveurs qui ignorent les durs aspects de la vie. Deuxièmement, dans une société ou puissance et pouvoir dominent, la seule manière pour qu’un nouveau mouvement ou une nouvelle philosophie puisse remplacer l’ancienne est de prendre le pouvoir et de s’en servir pour installer ce nouveau mouvement. Ainsi, pour produire une société basée sur moins de pouvoir et de compétitivité, la seule manière d’en faire connaître la vision serait de compromettre cette vision même. Ceux qui lancèrent la révolution française ou les diverses révolutions communiste au nom d’une société plus égalitaire furent pourtant obligés de prendre le pouvoir et, ce faisant, pervertirent leurs valeurs de départ. Le résultat fut une société aussi hiérarchisée qu’avant avec seulement un autre groupe de gens au pouvoir. Dans La ferme des animaux [21] George Orwell décrit brillamment le procédé. Le pouvoir et la compétitivité sont des valeurs subversives pour quiconque tente de les renverser [22]. Une dernière raison qui explique les difficultés à réussir à transformer une société patriarcale c’est que dans ces sociétés il est difficile d’obtenir même une simple reconnaissance du fait qu’un problème existe. Ce sont les hommes du groupe dominant qui contrôlent les médias et le système éducatif ; ils sont les journalistes, les directeurs de journaux, les analystes de la société, les professeurs de science sociale, ils ne connaissent aucune barrière et ne voient donc pas les problèmes. Ces hommes affirmeront souvent qu’il n’y a aucune barrière dans leur société parce qu’ils n’en ont jamais rencontrée et ils ne voient donc aucune raison de la transformer. Ces leaders ont une rhétorique qui affirme que leur société est juste, démocratique, avec des opportunités égales pour tous. Ce sont les femmes qui expérimentent le plafond de verre dans leur carrière ; c’est aux minorités ethniques qu’on donne automatiquement les métiers dégradants et mal payés avec aucune possibilité de progrès ; mais la voix de ces gens n’est pas entendue, leur plainte du manque d’égalité n’est pas reconnue et la fiction d’une société juste et libre continue [23].
Les enseignements bahá’ís sur l’égalité et la mondialisation
Comme indiqué plus haut, les enseignements bahá’ís visent à créer une nouvelle conscience mondiale entre les humains. Ceux-ci ont besoin de transcender leurs identités étroitement partisanes qui ont été la base des haines, des conflits et des guerres. Le monde dans lequel nous vivons est déjà unifié en termes de communication, de voyage, de finance, de commerce, de connaissance et même les cultures diverses, les langues et les systèmes de croyance qui existent sont de plus en plus à la portée de tous. Cette réalité physique existe déjà. La position bahá’íe c’est que la pensée humaine doit se mettre au diapason de cette réalité [24].
Les bahá’ís considèrent que les êtres humains ont besoin de penser en termes d’unité de toute l’humanité. Plutôt que d’imaginer la société comme une armée avec un général à sa tête, nous devons considérer la société humaine comme un ensemble intégré. De même que la tête, le cœur, la peau et les os jouent un rôle important dans le corps humain et sont interdépendants, de même les êtres humains doivent apprendre que tous les éléments de cette société mondiale sont interdépendants et donc également importants.
Il est évident que toutes les choses créées sont rattachées les unes aux autres par un lien complet et parfait ; ainsi en est-il, par exemple, des membres du corps humain. Remarquez la manière dont tous les membres et les parties qui composent le corps humain sont reliés les uns aux autres. De la même manière, tous les membres de cet univers infini sont liés les uns aux autres. Le pied et le pas, par exemple, sont reliés à l’oreille et à l’œil ; celui-ci doit regarder en face avant que nous fassions un pas. L’oreille doit entendre avant que l’œil observe attentivement, et toute déficience d’un élément quelconque du corps humain engendre une déficience des autres éléments. Le cerveau est relié au cœur et à l’estomac, les poumons sont rattachés à tous les éléments, et il en est ainsi de toutes les parties composant le corps humain [25].
Transformer la réalité : structure de la communauté bahá’íe
Pourtant, de nombreux auteurs ont écrit de manière convaincante sur l’égalité des êtres humains et sur le besoin de sociétés plus égalitaires [26]. Mais, comme indiqué plus haut, la plupart n’ont produit aucun plan pratique pour y arriver. Et là où existait un plan d’action, dans le cas du Manifeste communiste, par exemple, il n’a pas produit l’effet prévu. C’est qu’il est difficile de transformer la réalité, particulièrement ces parties de la réalité aussi profondément ancrées que les structures sociales hiérarchisées.
La communauté bahá’íe est intéressante en ce qu’elle affirme avoir un plan pour la création d’une vision alternative du monde et que ses activités actuelles sont conçues pour réaliser progressivement ce plan. Nous allons maintenant décrire quelques-uns des aspects de la structure administrative bahá’íe et de son fonctionnement pour montrer en quoi elle crée une nouvelle réalité sociale. Cette étude sera nécessairement brève et nous encourageons le lecteur à se référer à des descriptions plus élaborées de la religion bahá’íe pour avoir plus d’informations [27].
Un regard superficiel trouvera des similitudes entre la structure de base de l’organisation de la communauté bahá’íe et d’autres systèmes démocratiques de gouvernement. Des conseils locaux, nationaux et international administrent les affaires des bahá’ís. Mais si l’on entre dans les détails, on trouve un grand nombre d’aspects inhabituels dont la plupart illustrent l’idée que dans la communauté bahá’íe l’autorité ne repose pas sur un individu mais dans les corps élus eux-mêmes. Individuellement, les membres des conseils élus n’ont aucune autorité propre. Si, par exemple, le membre d’un conseil national élu vit dans une ville, il ou elle n’a aucune autorité individuelle en vertu de son appartenance au conseil national et il ou elle est sous l’autorité du conseil élu de sa ville. C’est le conseil élu, en tant que corps constitué seul qui à l’autorité dans la communauté bahá’íe. Le pouvoir et l’autorité ne sont plus entre les mains d’individus.
Un des concepts les plus importants des écrits bahá’ís est celui de l’Alliance. Selon cette doctrine, bien que tous les bahá’ís aient le droit – et même le devoir – d’étudier les écrits par eux-mêmes, ils n’ont pas le droit de dire que leur compréhension est la bonne ou qu’elle a quelque autorité. Seules les interprétations des écrits bahá’ís faites par ‘Abdu’l-Bahá, fils et successeur de Bahá’u’lláh, et celles du petit-fils et successeur de ‘Abdu’l-Bahá, Shoghi Effendi (1897-1957), ont autorité. Aucune autre interprétation ne peut avoir autorité et être imposée aux bahá’ís. Cette règle a pour but d’éviter l’émergence de hiérarchies basées sur la connaissance et le pouvoir, la création de factions et de sectes autour du point de vue de personnages savants ou charismatiques [28].
Le système électoral bahá’í est l’un des aspects de sa structure administrative qui a pour but d’empêcher l’émergence de structures sociales hiérarchisées. En de nombreux aspects, c’est le contraire du système occidental très compétitif dans lequel on cherche à conquérir le pouvoir. Dans le système électif bahá’í, on ne peut créer de partis politiques ou des programmes de parti ni publier des manifestes et, en fait, toutes formes de nominations et de candidatures sont interdites. Le devoir de l’électeur au cours d’une élection bahá’íe est de réfléchir soigneusement sur les qualités de tous les bahá’ís qu’il connaît et qui sont éligibles puis de choisir les neuf personnes qui sont le plus à même d’accomplir la tâche d’administrer la communauté bahá’íe [29]. Un autre aspect inhabituel par rapport aux règles des élections occidentales c’est qu’une fois élus les membres de ces conseils ne sont pas responsables devant leurs électeurs. Ils n’ont ainsi pas besoin de réagir aux désirs fugaces de la population qui a tendance à réagir à chaque événement ponctuel et à être facilement manipulée par la presse et la télévision. Ils ne sont responsables de leurs décisions que devant Dieu et leur conscience [30].
Encore un autre aspect de l’administration bahá’íe qui doit, dit-on, aider à briser les structures hiérarchiques est le principe de subsidiarité. Dans la plupart des systèmes de gouvernement, sauf existence de fortes sauvegardes, le pouvoir tend à s’accumuler au sommet et de déserter le tiers inférieur du gouvernement [31]. Or dans l’administration bahá’íe le mandat est clair : toute décision qui peut être prise au niveau local devrait être prise par le conseil local élu et seule celle qui a des ramifications au-delà du niveau local ou qui a besoin d’être coordonnée au niveau national devrait être prise à ce niveau ; il en sera de même au niveau international. Le principe est que l’autorité devrait aussi décentralisée que possible [32]. Ainsi, par exemple, au début du développement de la religion bahá’íe, l’administration du monde bahá’í et l’élaboration des plans pour son expansion se faisaient depuis le centre mondial à Haïfa par Shoghi Effendi et la Maison universelle de justice, le conseil international élu qui est la suprême autorité du monde bahá’í aujourd’hui. Des plans détaillés étaient envoyés aux différentes communautés nationales à charge pour elles de les appliquer. Les divers corps nationaux élus gagnant en maturité, la Maison universelle de justice leur a délégué de plus en plus l’autorité d’élaborer leurs propres plans et de les appliquer [33]. Aujourd’hui, la plupart des détails des plans dans lesquels les bahá’ís s’engagent sont élaborés au niveau local au cours de réunions organisées par de petits groupements de communautés bahá’íes (la réunion de réflexion du groupement).
Le refus des bahá’ís de participer aux activités politiques partisanes peut-être aussi vu comme l’expression de sa détermination à créer une nouvelle réalité sociale [34]. On a déjà vu qu’une société hiérarchisée ne peut être renversée en participant à son système. Ceux qui s’y sont essayés ont fini par compromettre leurs valeurs et par perpétuer les structures sociales hiérarchiques et leurs valeurs concomitantes de pouvoir et de compétitivité. Ainsi, le refus des bahá’ís de participer à toute politique partisane est tout à fait logique et inhérent à sa stratégie de transformer la société. La participation à un parti politique non seulement créerait une désunion parmi les bahá’ís mais compromettrait aussi les valeurs mêmes sur lesquelles les bahá’ís essaient de bâtir leur nouvelle réalité.
Le fonctionnement de la communauté comme moyen de transformer la réalité.
Certains aspects du fonctionnement de la communauté sont en eux-mêmes des outils de transformation de la réalité. En établissant les plans pour l’expansion de la communauté bahá’íe, Shoghi Effendi, deuxième successeur de Bahá’u’lláh, insista à dessein pour que les bahá’ís recherchent toutes les tribus, les groupes ethniques minoritaires ou sociaux pour tenter de les faire entrer dans la communauté bahá’íe [35]. De cette manière, il créa concrètement la réalité du concept de Bahá’u’lláh de l’unité et de l’interconnectivité de l’humanité tout entière. En réunissant divers peuples et cultures très différentes et en résolvant les confrontations et les problèmes qui s’élèvent dans un environnement d’unité, de prière et d’amour, ‘Abdu’l-Bahá et Shoghi Effendi aidèrent les bahá’ís à vaincre les haines et les préjugés qui sont inhérents à toutes les cultures.
Un aspect très important du fonctionnement de la communauté bahá’íe est le mécanisme de la consultation [36]. Toutes les décisions prises par les conseils élus et leurs comités le sont par ce processus, mais ‘Abdu’l-Bahá encourage aussi son utilisation dans d’autres situations et les bahá’ís s’en servent pour prendre des décisions familiales ou personnelles, à leur travail, dans l’étude en groupes des Écrits et dans toutes les situations où l’on recherche conseils et vérité. Les règles de la consultation sont les suivantes : Dans une atmosphère de prières et de respect réciproque, tous les membres présents devraient exprimer leur opinion qui doit être traitée avec respect. Une opinion exprimée doit être détachée de celui qui l’exprime et discutée sans référence à des personnalités. On doit d’abord s’assurer de l’exactitude des faits avant de commencer à discuter des solutions possibles. ‘Abdu’l-Bahá décrit ainsi les qualités d’une consultation bahá’íe :
Pour ceux qui se concertent, les conditions requises sont en premier lieu la pureté d’intention, le rayonnement de l’esprit, le détachement de tout ce qui n’est pas Dieu, l’attrait pour les senteurs divines, l’humilité en présence des bien-aimés de Dieu, la patience et l’endurance dans les difficultés, et la servitude à son seuil exalté. [37].
Le processus de consultation bahá’í encourage donc tous les présents à participer. Cela permet aux femmes, aux minorités sociales ou raciales qui souvent ne se sentent pas à l’aise dans une réunion de donner leur avis. La consultation bahá’íe idéale offre un environnement sûr et encourageant dans lequel ces gens peuvent exprimer leur opinion. D’ailleurs, tout comme les hommes sont meilleurs en compétition, les femmes sont par nature meilleures dans l’environnement coopératif produit par le processus de consultation [38]. Dans cet environnement, elles se sentent à l’aise pour exprimer leurs idées, ce qui ne serait pas le cas dans un environnement très compétitif, et elles peuvent jouer un rôle majeur dans la vie communautaire bahá’íe. Ainsi, le processus de la consultation jette bas le processus de domination sociale par les éléments dominants de la société qui, en Europe et dans les Amérique, ont tendance à être des blancs de la classe moyenne ou supérieure.
Transformer la réalité du pouvoir et de l’autorité
Un autre aspect intéressant de la communauté bahá’íe est son effort pour séparer le pouvoir et l’autorité. Aujourd’hui, nul ne discute le fait qu’autorité et pouvoir sont indissolublement liés. Il est acquis que dans une société bien ordonnée et bien dirigée tout individu à qui l’on donne l’autorité reçoit nécessairement le pouvoir avec lequel appliquer cette autorité. Il est acquis que l’absence de pouvoir pour accompagner l’autorité engendre du désordre puisque les institutions ayant l’autorité n’auront pas le pouvoir de faire appliquer leurs ordres. L’esprit de la communauté bahá’íe est entièrement différent.
On essaie de séparer dans la mesure du possible l’autorité et le pouvoir. Nous avons vu que dans la communauté bahá’íe les individus ont ni pouvoir ni autorité. Les institutions élues ont l’autorité pour diriger les affaires de la communauté mais leur responsabilité est d’atteindre leurs objectifs en gagnant le soutien de la majorité de la communauté bahá’íe. En s’adressant en priorité aux membres des institutions élues, Shoghi Effendi déclare :
Gardons à l’esprit que la clé de la cause de Dieu n’est pas l’autorité dictatoriale mais l’humble fraternité, non le pouvoir arbitraire mais l’esprit de franche et affectueuse consultation. Rien, sauf un esprit réellement bahá’í ne peut espérer la réconciliation des principes de grâce et de justice, de liberté et de soumission, du caractère sacré du droit de l’individu et de celui du renoncement, de la vigilance, de la discrétion et de la prudence d’une part et de la fraternité de la franchise et du courage de l’autre. Shoghi Effendi [39].
En effet, dans de nombreux domaines, les institutions bahá’íes ont très peu de pouvoir pour imposer leur autorité si on les compare aux autorités centrales d’autres religions. Elles n’ont pas l’autorité doctrinale qui détermine la doctrine correcte, qui crée une nouvelle doctrine ou un nouvel enseignement théologique ou qui interprète les textes de l’Écriture. Elles n’ont donc pas, dans de nombreux domaines, le pouvoir et l’autorité que détiennent traditionnellement les autorités religieuses. Elles ont l’autorité de diriger la communauté dans l’élaboration de plans d’action pour les bahá’ís mais elles ne peuvent sanctionner ou utiliser d’autres moyens pour forcer les bahá’ís à accomplir ces plans. Par exemple, si les bahá’ís voulaient ignorer complètement le Plan de cinq ans actuel élaboré par la Maison universelle de justice, ils seraient libres de le faire sans crainte de sanction. La situation générale est ainsi résumée par la Maison universelle de justice :
L’autorité et les directives viennent des assemblées alors que le pouvoir d’accomplir les tâches appartient avant tout à l’ensemble des croyants [40].
Ce n’est que dans des cas extrêmes que les institutions élues peuvent exercer un certain pouvoir sur les bahá’ís, situations rarement rencontrées par le bahá’í moyen. Ce pouvoir s’applique à des bahá’ís qui dépassent certaines limites. Il comprend des sanctions administratives à l’encontre de bahá’ís qui ne respectent pas publiquement le code moral bahá’í : être ivre en public ou ne pas respecter la morale sexuelle bahá’íe d’une manière flagrante (à noter que ce que font les bahá’ís en privé ne concerne pas les institutions bahá’íes). Des sanctions plus sévères sont prises envers ceux qui cherchent à créer des divisions ou à introduire un esprit sectaire dans la communauté (avoir des opinions différentes n’est pas sanctionné, ce n’est que lorsqu’un individu cherche à créer une secte ou à regrouper des gens autour d’une telle opinion que des sanctions peuvent s’appliquer). La majorité des bahá’ís ne connaîtront jamais ce genre d’expérience.
On peut même dire que le leadership, que ce soit celui des personnes qui succédèrent à Bahá’u’lláh comme chefs de la communauté, ‘Abdu’l-Bahá et Shoghi Effendi, ou celle des institutions qui administrent aujourd’hui la communauté, n’est pas vu comme un instrument de pouvoir et d’autorité mais plutôt comme une opportunité de servir. Le nom de ‘Abdu’l-Bahá signifie le serviteur de Bahá’u’lláh. Il écrit :
Mon nom est ‘Abdu’l-Bahá. Ma qualité est ‘Abdu’l-Bahá. Ma réalité est ‘Abdu’l-Bahá. Ma louange est ‘Abdu’l-Bahá. L’assujettissement à la Perfection bénie est mon diadème glorieux et resplendissant, et la servitude envers la race humaine tout entière est ma perpétuelle religion… Je n’ai point de nom, de titre, de mention, de louange autre que ‘Abdu’l-Bahá, et je n’en aurai jamais d’autres. Ceci est mon ardent désir. Ceci est mon aspiration la plus profonde. Ceci est ma vie éternelle. Ceci est ma gloire sans fin. [41]
Shoghi Effendi signe ses lettres en anglais : Votre frère sincère, Shoghi et il considérait sa position comme celle de servitude envers le Maître ‘Abdu’l-Bahá :
Puis-je exprimer mon désir sincère que les amis de Dieu en tout pays ne me voient réellement que comme un frère, uni avec eux dans notre commune servitude au Seuil sacré du Maître et qu’ils ne s’adressent à moi, par écrit ou en paroles, que comme Shoghi Effendi, car je désire n’être connu par aucun autre nom que celui que notre Maître bien-aimé avait l’habitude de prononcer, nom qui, parmi d’autres désignations, est le plus apte à ma croissance et à mon avancement spirituel. [42].
L’esprit qui anime les institutions élues de la communauté bahá’íe devrait aussi être, selon la citation qui précède, un esprit d’humble camaraderie et de consultation franche et amicale. Les qualités que devraient s’efforcer d’avoir ceux qui consultent ensemble devraient inclure, comme décrit ci-dessus : pureté de motif […] détachement de tout sauf d Dieu […] humilité et modestie parmi ses aimés […] servitude à son Seuil exalté, toutes qualités qui sont les exactes opposées de celles normalement associées aux positions de pouvoir et d’autorité. Comme le dit ‘Abdu’l-Bahá concernant les membres de ces institutions élues :
Maintenant, ils (les membres) doivent s’engager à servir dans un esprit et une ambiance parfaits, avec un cœur sincère, attirés par les parfums divins et les confirmations de l’Esprit saint, consacrés au service aux autres, dans la promotion du Verbe de Dieu, dans la diffusion des fragrances de Dieu, l’éducation des âmes et la promulgation de la Paix majeure. [43].
On peut décrire cela graphiquement en disant que si le modèle actuel de structure sociale est celui d’une pyramide de pouvoir et d’autorité, le modèle de la communauté bahá’íe est celui d’une pyramide inversée où les bahá’ís ordinaires, au sommet, ont le pouvoir de faire avancer la religion et les institutions qui ont l’autorité sont au-dessous, au service des bahá’ís ordinaires [44].
Conclusion : la voie vers la transformation de la réalité
Nous l’avons indiqué ci-dessus, les baha’ís font beaucoup pour transformer la réalité. Ils sont en train de bâtir un système de gouvernement non hiérarchisé dans lequel les individus n’ont ni le pouvoir ni l’autorité. Leur processus de prise de décision consultative encourage ceux qui souvent se sentent le plus opprimés et aliénés dans la société moderne à s’exprimer et à participer activement dans la société. Ils ont établi des institutions dont le but est de les servir plutôt que d’exercer sur eux pouvoir et autorité. Leur but est la création d’une nouvelle conscience mondiale de l’unité de l’humanité.
Faire passer les êtres humains d’une réalité vers une autre est inévitablement un processus lent et minutieux. Les êtres humains sont à l’aise dans la réalité courante et il faut faire un effort pour la changer. Ce n’est pas parce qu’un être humain accepte l’argument intellectuel de la nécessité d’un changement de réalité n’implique pas que les attitudes profondément ancrées dans la culture peuvent être rejetées d’un jour à l’autre. Inévitablement le progrès est lent et avance par petites étapes, chacune bâtie sur la précédente.
Actuellement, la communauté bahá’íe est engagée dans le Plan de cinq ans, une des étapes de son développement. Les buts de ce plan sont étroitement alignés sur le projet de destruction des vieilles manières de pensée associées à la vieille réalité sociale hiérarchisée et de création de nouveaux schémas de comportement et de pensée en accord avec la nouvelle réalité sociale. Dans ses écrits, la Maison universelle de justice a mentionné une transformation de la culture de la communauté bahá’íe [45]. La vieille réalité dont la Maison universelle de justice dit vouloir libérer la communauté bahá’íe est une réalité dominée par :
la sorte d’activité religieuse qui caractérise la société en général, dans laquelle le croyant est membre d’une congrégation, la direction vient d’un individu ou de plusieurs qu’on suppose qualifiés pour ce rôle, et où la participation personnelle s’insère dans un programme dominé par des préoccupations d’une nature très différente. [46]
C’est dans le cadre des activités du plan de cinq ans actuel que la communauté met tout cela en application. Le but affirmé des plans actuels de la communauté bahá’íe est de passer du genre de communauté caractérisée par la passivité d’une congrégation à celui où le poids des activités et des responsabilités est supporté par l’ensemble des participants. La séquence de cours qui est au centre du plan place ces participants dans des schémas de comportement, comme de dire des prières et de mémoriser des extraits d’Écrits, qui les encourage à passer du matérialisme de la société actuelle vers une orientation plus spirituelle. Suivre ces cours les encourage à réfléchir sur les passages qu’ils étudient et, au fur et à mesure qu’ils passent d’un cours à l’autre ils s’habituent, dans un environnement contrôlé et encourageant, à exprimer leurs idées et à discuter les idées des autres. De là, ils peuvent utiliser leur compétence acquise dans les Fêtes des dix-neuf jours et dans les réunions de réflexion de leur communauté au cours desquelles ils ont d’autres occasions de pratiquer la consultation bahá’íe. Ainsi, un membre d’une communauté bahá’íe, ou quiconque participe à ces cours, est transformé, passant d’une participation passive comme dans une congrégation à une participation active universelle. Il a pour but de transformer la communauté bahá’íe qui, en grande partie, ressemblait à d’autres communautés religieuses où il y a un ou quelques chefs de la communauté qui dirige la vie collective et décide comment chacun doit penser, en une communauté où chacun a les compétences pour réfléchir à ce qui doit être fait et assez de confiance pour exprimer ses idées. Ce processus est aussi prévu pour se perpétuer sans avoir besoin de quelqu’un de compétent pour être autonome. Ceux qui passent les séquences de cours acquièrent la compétence pour faire passer les autres. Que des enfants et des jeunes participent aux activités en assure la viabilité.
Au cours de ces classes d’étude, ils sont encouragés à entreprendre des actes de service à la communauté sous la forme de visites à domicile, d’aide à des classes pour enfants, des groupes de jeunes, des réunions de prière et, éventuellement, ils peuvent enseigner eux-mêmes ces classes. En aidant ainsi les autres ils passent d’un mode de vie ou leur seule préoccupation est eux-mêmes à une approche de la vie ouverte vers les autres et à leur service. Ce qui veut dire que les gens ont des expériences qui non seulement les aident à se développer spirituellement mais leur donne aussi matière à réflexion. Ils commencent à réfléchir aux problèmes et aux opportunités que rencontre leur communauté et ainsi, en plus d’avoir appris à exprimer leurs opinions ils commencent à avoir des opinions qui valent la peine qu’on les exprime et qui sont des contributions positives au progrès de leur communauté.
Ayant atteint ce premier but d’avoir une communauté vibrante et active, dans laquelle tous les membres sont habitués à se consulter et à entreprendre les activités communautaires de base, la nécessité d’avoir un mécanisme pour diriger les activités et pousser la communauté vers la création d’une société alternative se fait sentir. Ce mécanisme est pourvu par la réunion de réflexion dans laquelle toute la communauté se rencontre afin de réfléchir aux plans passés et aux directives éventuellement reçues des institutions, d’inventorier les capacités humaines de la communauté, de sélectionner des buts réalistes à poursuivre et de se consulter sur un plan pour les atteindre. À la suite de la réunion de réflexion, toute la communauté se concentre sur la réalisation des plans élaborés. Puis, après un certain temps, une nouvelle réunion de réflexion est organisée afin d’évaluer les réussites et les échecs, d’apprendre des unes et des autres et de répéter le cycle. Si, jusqu’à présent, ces réunions de réflexion et ces cycles d’activité ont été centrés sur le besoin de croissance, la Maison universelle de justice a indiqué que, la communauté augmentant en nombre et en capacité, ce schéma d’activité changera d’orientation et se préoccupera des problèmes rencontrés par le voisinage dans son ensemble, pour se consulter dessus et élaborer des plans destinés à résoudre ces problèmes.
Ces cycles d’activité sont en fait très scientifiques dans leur fonctionnement. Analyser un phénomène, créer une hypothèse pour expliquer ce phénomène, concevoir une expérience pour vérifier cette hypothèse, réaliser cette expérience, analyser le résultat de l’expérience pour voir ce qu’on en apprend puis créer une nouvelle hypothèse, c’est suivre la méthode scientifique. Le cycle décrit dans le paragraphe précédent suit cette méthode : réunion de réflexion pour se consulter sur la situation, élaborer un plan d’action, appliquer ce plan, évaluer les résultats du plan puis se consulter sur un nouveau plan.
En plus de ces activités, les classes d’étude, les classes d’enfants, les activités de formation des jeunes, les réunions de prières, les réunions de réflexion et les activités de développement social et économique devraient être tous menées en sorte qu’elles soient ouvertes à tous et que tous y soient les bienvenus. Tous ceux qui désirent participer à cette nouvelle société alternative sont les bienvenus, qu’ils soient bahá’ís ou non.
Voici donc la base d’une nouvelle civilisation dans laquelle les buts élaborés par Shoghi Effendi et la Maison universelle de justice sont atteints et des progrès dans l’accomplissement et la prospérité sont accomplis. Le processus dans lequel la communauté bahá’íe est engagée maintenant a pour but de faire naître une communauté humaine :
* Dans laquelle les décisions sur les questions qui concernent les gens seront prises par les gens eux-mêmes au niveau local (évitant ainsi les maux d’une centralisation excessive).
* Dans laquelle chaque individu sera actif et impliqué dans ce qui se passe (la participation universelle).
* Dans laquelle l’équilibre du pouvoir entre les institutions gouvernantes et l’individu se déplace (L’autorité et la direction viennent des assemblées alors que le pouvoir d’accomplir les tâches réside avant tout dans l’ensemble des croyants).
* Dans laquelle la masse des gens qui sont aujourd’hui opprimés, silencieux et passifs parce qu’au bas de la pyramide du pouvoir acquiert du pouvoir et deviennent des agents actifs de la société (sortir d’un modèle de vie religieuse dans lequel le croyant est membre d’une congrégation).
La communauté bahá’íe et la création d’une nouvelle réalité
Moojan Momen
traduction Pierre Spierckel
Depuis que Peter Berger et Thomas Luckmann publièrent en 1967 The social construction of reality [1] les sociologues et les érudits qui traitent de ces questions acceptent l’idée qu’une culture (symboles, concepts, institutions et rituels) est créée collectivement et socialement par des générations d’êtres humains, culture que les générations suivantes considéreront comme une réalité allant de soi et inaltérable. Aujourd’hui, ce processus a été étudié exhaustivement par les sociochangent et par d’autres disciplines académiques dans le cadre de la sociologie de la connaissance. Un aspect particulièrement intéressant de cette étude est l’idée élaborée par Hayden White dans son ouvrage Tropics of discourse [2], des tropes en histoire dans le cadre desquels un historien écrit, ce qui établit ensuite quels aspects de la documentation historique vont être examinés et comment ils vont être vus. Dans un domaine parallèle, un autre développement est la description de Thomas Kuhn dans The structure of scientific revolutions [3] de la manière dont les scientifiques passent d’un cadre scientifique à un autre comme, par exemple, le passage de la version ptolémaïque de l’univers à la version copernicienne. C’est ce qu’il appelle le glissement de paradigme. Dans mon ouvrage The phenomenon of religion [4] j’ai tenté de montrer que la conversion religieuse, qui est une transformation de réalité religieuse peut, de nombreuses manières être comparée aux transformations décrites par Kuhn comme un glissement de paradigme.
Les études universitaires sur la culture se sont focalisées sur des facteurs tels que les innovations techniques, l’environnement et l’influence d’autres cultures, qui produisent une transformation de culture et donc une nouvelle réalité sociale. Je voudrais ici considérer un aspect de ce concept de construction sociale de la réalité et l’idée d’une transformation de cette réalité qui n’ont pas été beaucoup étudiés : la question de savoir comment un groupe peut décider délibérément de transformer la réalité. En suivant ses textes explicites, cet article considèrera la communauté mondiale bahá’íe qui s’est lancée dans ce projet précis : transformer la réalité, transformer la manière dont les êtres humains voient le monde. Il y a plus de cent ans, son fondateur Bahá’u’lláh (1817-1892) parlait d’un nouvel ordre mondial [5] et interprétait les prophéties bibliques de la fin du monde et du jour de la résurrection comme étant des références à la fin d’un monde culturel et religieux et à la naissance d’un nouveau [6].
Bahá’u’lláh cherche à transformer la réalité de nombreuses manières. Il affirme que son but premier est de créer une nouvelle conscience mondiale en sorte que les êtres humains cessent de penser en termes d’identité nationale, ethnique, religieuse ou de caste et pensent en termes d’une seule identité mondiale nouvelle : La terre n’est qu’un seul pays et tous les hommes en sont les citoyens [7]. La façon de voir la nature humaine comme fondamentalement belliqueuse et de nature compétitive doit aussi être transformée. L’idée que la guerre est inhérente à la vie humaine fut renforcée par les idées sur l’évolution darwiniste et son concept de lutte pour survivre. ‘Abdu’l-Bahá (1844-1921), le fils de Bahá’u’lláh et son successeur à la tête de la religion bahá’íe, au cours de ces voyages dans toute l’Europe et en Amérique du Nord dans les années précédant la Première guerre mondiale, avertit des dangers de cette idée et demanda aux nations du monde de se détourner de la voie de la guerre pour adopter une nouvelle manière de penser. Pendant son séjour à Londres, ‘Abdu’l-Bahá expliqua :
Pendant six mille ans les nations se sont détestées. Il est temps maintenant d’arrêter la guerre. La guerre doit cesser. Unissons-nous, aimons-nous les uns les autres et attendons les résultats. Nous savons que les effets de la guerre sont mauvais. Faisons une expérience, essayons la paix et si les résultats de la paix sont mauvais nous pourrons alors décider qu’il vaut mieux retourner à l’état de guerre ! Mais faisons d’abord l’expérience. Si nous voyons que l’unité apporte la lumière nous continuerons. Depuis six mille ans nous marchons sur le côté gauche du chemin ; marchons sur le côté droit maintenant. Nous avons connu de nombreux siècles d’obscurité, avançons vers la lumière [8].
‘Abdu’l-Bahá parla des besoins de transformer notre univers symbolique afin de provoquer une transformation de la réalité. Concernant le sens des termes en relation avec la guerre et la compétition, par exemple, il expliqua le sens du mot victoire pour la cause bahá’íe : Sa victoire est celle de se soumettre et de céder, et sa gloire éternelle, c’est son désintéressement [9] :
En conséquence, aujourd’hui la victoire n’est pas et ne sera pas contre qui que ce soit, ni une lutte avec l’un ou l’autre, mais d’une manière plus agréable, c’est-à-dire une victoire sur la cité du cœur humain qui est dominée par les armées de l’égoïsme et de l’envie qui sera conquise par les épées des paroles de sagesse et les exhortations [10].
De même, ‘Abdu’l-Bahá transforma le concept de compétition et son rôle habituel dans une société compétitive, celui d’une quête du pouvoir, en suggérant de le voir comme une course dans le service aux autres : Rivalisez les uns avec les autres dans le service de Dieu et de sa cause. Voilà en vérité ce qui vous est profitable en ce monde et dans celui à venir [11]. Pour ‘Abdu’l-Bahá, le but d’une ambition personnelle et la source de la gloire la plus grande n’est pas de prendre le pouvoir et d’exercer un contrôle sur les autres, mais d’exceller dans le service consacré à l’amélioration et l’édification des hommes [12] ainsi qu’à la cause de la Paix majeure [13].
La réalité comme structure sociale hiérarchisée
Les enseignements bahá’ís essaient de transformer la réalité sociale de nombreuses façons. Pour ne pas faire trop long, nous nous concentrerons sur un domaine pratique en particulier : les transformations que les enseignements bahá’ís essaient d’instituer dans la structure sociale et les relations de pouvoir. L’avantage c’est que nous pouvons ici considérer non seulement les écrits de la religion bahá’íe mais aussi les étapes pratiques que prennent les communautés bahá’íes sur un plan local.
Depuis quelque cinq mille ans les êtres humains vivent dans des villes [14]. Passer d’une vie dans de petites communautés dispersées à une situation où un grand nombre de gens se protège derrière les murailles d’une ville a provoqué une profonde transformation dans les affaires humaines, dans les structures sociales et dans la conscience humaine. La profondeur de cette transformation est inscrite d’ailleurs dans le langage même. Le mot civilisation et tous ceux qui connotent un progrès humain et culturel viennent du mot latin civis qui veut dire cité et le mot politique et tous ceux qui connotent un ordre social viennent du mot grec polis qui veut dire lui aussi cité. La principale transformation de la société humaine a été le passage d’une société, qui existe encore aujourd’hui dans quelques sociétés premières [15], structurée horizontalement avec beaucoup de consultation entre les anciens, à une société à la structure beaucoup plus pyramidale, plus autoritaire, avec en général une seule personne (ou un petit groupe) au sommet de la pyramide et les masses populaires n’ayant que peu à dire dans le processus de décision sociétale. Et cette structure pyramidale se retrouve aussi dans les affaires, l’industrie, la religion, la plupart des associations et même dans la plupart des familles. Au sommet de la pyramide sociale en Europe et en Amérique on trouve quelques membres de la classe moyenne ou des membres de la haute société. Le restant de la classe moyenne de la haute société les soutient. C’est ce petit groupe qui conserve son pouvoir hégémonique sur la base de la pyramide qui se compose de tous les autres. En fait, si l’on considère que la moitié de la société est composée de femmes et qu’on y ajoute les divers groupes ethniques et autres classes sociales, on voit que dans les sociétés occidentales où les individus sont soi-disant égaux seul un petit pourcentage est au sommet de la hiérarchie sociale et bénéficient de ses bienfaits et de ses avantages pendant que la majorité est très loin de leur être égale.
On connaît et on critique les défauts de la nature pyramidale et hégémonique de la société humaine depuis plus de cent ans [16], critique qui s’est accentuée récemment, les gens reconnaissant de plus en plus les inconvénients de la structure hiérarchique qui s’accumulent d’autant plus que les attitudes et les valeurs qu’elle nourrit s’accroissent dans les entreprises et jusque dans les familles. Les féministes assimilent la société patriarcale (où les hommes dirigent) dans laquelle nous vivons, à sa structure pyramidale et très compétitive (par nature les femmes n’ont pas cet esprit de compétition et seront donc toujours moins bonnes dans un environnement de forte compétition ; elles sont bien meilleures dans un environnement coopératif et de travail social [17]) et l’accusent aussi de générer ces attitudes qui donnent lieu à la violence domestique et à la violence contre les femmes en général [18]. de même, les écologistes et les activistes antimondialisation pointent la nature très compétitive de l’industrie comme cause première de la pollution et des mauvaises attitudes sociales des entreprises (telles que la délocalisation des emplois dans les pays où l’emploi et les règles écologistes sont inférieurs sans se préoccuper des conséquences sociales) [19].
Cela dit, il est plus facile de critiquer les sociétés hiérarchisées que de faire ce qu’il faut pour les transformer. De nombreuses tentatives furent faites pour transformer la structure pyramidale de la société en une société plus égalitaire et plus horizontale. La démocratie devait produire ce résultat et, malgré ses quelques succès, la structure commune aujourd’hui dans de nombreuses sociétés démocratiques est formée d’un président puissant et d’une petite élite qui tient tout le pouvoir pour un certain nombre d’années. Autrement dit, la structure pyramidale subsiste. Seuls les gens au pouvoir changent de temps en temps. La Révolution française et les diverses révolutions communistes furent toutes faites pour créer une société égalitaire. Elles échouèrent, n’ayant réussi qu’à remplacer un groupe au sommet de la pyramide par un autre.
Une société hiérarchisée ou hégémonique est très stable et difficile à transformer pour trois raisons. Premièrement, l’image pyramidale du monde est vue comme une réalité allant de soi, la norme inaltérable de la société humaine [20]. Ceux qui prétendent le contraire, qui disent qu’il est possible de créer une société non-hiérarchisée basée sur la coopération sont considérés comme des simples d’esprit, des rêveurs qui ignorent les durs aspects de la vie. Deuxièmement, dans une société ou puissance et pouvoir dominent, la seule manière pour qu’un nouveau mouvement ou une nouvelle philosophie puisse remplacer l’ancienne est de prendre le pouvoir et de s’en servir pour installer ce nouveau mouvement. Ainsi, pour produire une société basée sur moins de pouvoir et de compétitivité, la seule manière d’en faire connaître la vision serait de compromettre cette vision même. Ceux qui lancèrent la révolution française ou les diverses révolutions communiste au nom d’une société plus égalitaire furent pourtant obligés de prendre le pouvoir et, ce faisant, pervertirent leurs valeurs de départ. Le résultat fut une société aussi hiérarchisée qu’avant avec seulement un autre groupe de gens au pouvoir. Dans La ferme des animaux [21] George Orwell décrit brillamment le procédé. Le pouvoir et la compétitivité sont des valeurs subversives pour quiconque tente de les renverser [22]. Une dernière raison qui explique les difficultés à réussir à transformer une société patriarcale c’est que dans ces sociétés il est difficile d’obtenir même une simple reconnaissance du fait qu’un problème existe. Ce sont les hommes du groupe dominant qui contrôlent les médias et le système éducatif ; ils sont les journalistes, les directeurs de journaux, les analystes de la société, les professeurs de science sociale, ils ne connaissent aucune barrière et ne voient donc pas les problèmes. Ces hommes affirmeront souvent qu’il n’y a aucune barrière dans leur société parce qu’ils n’en ont jamais rencontrée et ils ne voient donc aucune raison de la transformer. Ces leaders ont une rhétorique qui affirme que leur société est juste, démocratique, avec des opportunités égales pour tous. Ce sont les femmes qui expérimentent le plafond de verre dans leur carrière ; c’est aux minorités ethniques qu’on donne automatiquement les métiers dégradants et mal payés avec aucune possibilité de progrès ; mais la voix de ces gens n’est pas entendue, leur plainte du manque d’égalité n’est pas reconnue et la fiction d’une société juste et libre continue [23].
Les enseignements bahá’ís sur l’égalité et la mondialisation
Comme indiqué plus haut, les enseignements bahá’ís visent à créer une nouvelle conscience mondiale entre les humains. Ceux-ci ont besoin de transcender leurs identités étroitement partisanes qui ont été la base des haines, des conflits et des guerres. Le monde dans lequel nous vivons est déjà unifié en termes de communication, de voyage, de finance, de commerce, de connaissance et même les cultures diverses, les langues et les systèmes de croyance qui existent sont de plus en plus à la portée de tous. Cette réalité physique existe déjà. La position bahá’íe c’est que la pensée humaine doit se mettre au diapason de cette réalité [24].
Les bahá’ís considèrent que les êtres humains ont besoin de penser en termes d’unité de toute l’humanité. Plutôt que d’imaginer la société comme une armée avec un général à sa tête, nous devons considérer la société humaine comme un ensemble intégré. De même que la tête, le cœur, la peau et les os jouent un rôle important dans le corps humain et sont interdépendants, de même les êtres humains doivent apprendre que tous les éléments de cette société mondiale sont interdépendants et donc également importants.
Il est évident que toutes les choses créées sont rattachées les unes aux autres par un lien complet et parfait ; ainsi en est-il, par exemple, des membres du corps humain. Remarquez la manière dont tous les membres et les parties qui composent le corps humain sont reliés les uns aux autres. De la même manière, tous les membres de cet univers infini sont liés les uns aux autres. Le pied et le pas, par exemple, sont reliés à l’oreille et à l’œil ; celui-ci doit regarder en face avant que nous fassions un pas. L’oreille doit entendre avant que l’œil observe attentivement, et toute déficience d’un élément quelconque du corps humain engendre une déficience des autres éléments. Le cerveau est relié au cœur et à l’estomac, les poumons sont rattachés à tous les éléments, et il en est ainsi de toutes les parties composant le corps humain [25].
Transformer la réalité : structure de la communauté bahá’íe
Pourtant, de nombreux auteurs ont écrit de manière convaincante sur l’égalité des êtres humains et sur le besoin de sociétés plus égalitaires [26]. Mais, comme indiqué plus haut, la plupart n’ont produit aucun plan pratique pour y arriver. Et là où existait un plan d’action, dans le cas du Manifeste communiste, par exemple, il n’a pas produit l’effet prévu. C’est qu’il est difficile de transformer la réalité, particulièrement ces parties de la réalité aussi profondément ancrées que les structures sociales hiérarchisées.
La communauté bahá’íe est intéressante en ce qu’elle affirme avoir un plan pour la création d’une vision alternative du monde et que ses activités actuelles sont conçues pour réaliser progressivement ce plan. Nous allons maintenant décrire quelques-uns des aspects de la structure administrative bahá’íe et de son fonctionnement pour montrer en quoi elle crée une nouvelle réalité sociale. Cette étude sera nécessairement brève et nous encourageons le lecteur à se référer à des descriptions plus élaborées de la religion bahá’íe pour avoir plus d’informations [27].
Un regard superficiel trouvera des similitudes entre la structure de base de l’organisation de la communauté bahá’íe et d’autres systèmes démocratiques de gouvernement. Des conseils locaux, nationaux et international administrent les affaires des bahá’ís. Mais si l’on entre dans les détails, on trouve un grand nombre d’aspects inhabituels dont la plupart illustrent l’idée que dans la communauté bahá’íe l’autorité ne repose pas sur un individu mais dans les corps élus eux-mêmes. Individuellement, les membres des conseils élus n’ont aucune autorité propre. Si, par exemple, le membre d’un conseil national élu vit dans une ville, il ou elle n’a aucune autorité individuelle en vertu de son appartenance au conseil national et il ou elle est sous l’autorité du conseil élu de sa ville. C’est le conseil élu, en tant que corps constitué seul qui à l’autorité dans la communauté bahá’íe. Le pouvoir et l’autorité ne sont plus entre les mains d’individus.
Un des concepts les plus importants des écrits bahá’ís est celui de l’Alliance. Selon cette doctrine, bien que tous les bahá’ís aient le droit – et même le devoir – d’étudier les écrits par eux-mêmes, ils n’ont pas le droit de dire que leur compréhension est la bonne ou qu’elle a quelque autorité. Seules les interprétations des écrits bahá’ís faites par ‘Abdu’l-Bahá, fils et successeur de Bahá’u’lláh, et celles du petit-fils et successeur de ‘Abdu’l-Bahá, Shoghi Effendi (1897-1957), ont autorité. Aucune autre interprétation ne peut avoir autorité et être imposée aux bahá’ís. Cette règle a pour but d’éviter l’émergence de hiérarchies basées sur la connaissance et le pouvoir, la création de factions et de sectes autour du point de vue de personnages savants ou charismatiques [28].
Le système électoral bahá’í est l’un des aspects de sa structure administrative qui a pour but d’empêcher l’émergence de structures sociales hiérarchisées. En de nombreux aspects, c’est le contraire du système occidental très compétitif dans lequel on cherche à conquérir le pouvoir. Dans le système électif bahá’í, on ne peut créer de partis politiques ou des programmes de parti ni publier des manifestes et, en fait, toutes formes de nominations et de candidatures sont interdites. Le devoir de l’électeur au cours d’une élection bahá’íe est de réfléchir soigneusement sur les qualités de tous les bahá’ís qu’il connaît et qui sont éligibles puis de choisir les neuf personnes qui sont le plus à même d’accomplir la tâche d’administrer la communauté bahá’íe [29]. Un autre aspect inhabituel par rapport aux règles des élections occidentales c’est qu’une fois élus les membres de ces conseils ne sont pas responsables devant leurs électeurs. Ils n’ont ainsi pas besoin de réagir aux désirs fugaces de la population qui a tendance à réagir à chaque événement ponctuel et à être facilement manipulée par la presse et la télévision. Ils ne sont responsables de leurs décisions que devant Dieu et leur conscience [30].
Encore un autre aspect de l’administration bahá’íe qui doit, dit-on, aider à briser les structures hiérarchiques est le principe de subsidiarité. Dans la plupart des systèmes de gouvernement, sauf existence de fortes sauvegardes, le pouvoir tend à s’accumuler au sommet et de déserter le tiers inférieur du gouvernement [31]. Or dans l’administration bahá’íe le mandat est clair : toute décision qui peut être prise au niveau local devrait être prise par le conseil local élu et seule celle qui a des ramifications au-delà du niveau local ou qui a besoin d’être coordonnée au niveau national devrait être prise à ce niveau ; il en sera de même au niveau international. Le principe est que l’autorité devrait aussi décentralisée que possible [32]. Ainsi, par exemple, au début du développement de la religion bahá’íe, l’administration du monde bahá’í et l’élaboration des plans pour son expansion se faisaient depuis le centre mondial à Haïfa par Shoghi Effendi et la Maison universelle de justice, le conseil international élu qui est la suprême autorité du monde bahá’í aujourd’hui. Des plans détaillés étaient envoyés aux différentes communautés nationales à charge pour elles de les appliquer. Les divers corps nationaux élus gagnant en maturité, la Maison universelle de justice leur a délégué de plus en plus l’autorité d’élaborer leurs propres plans et de les appliquer [33]. Aujourd’hui, la plupart des détails des plans dans lesquels les bahá’ís s’engagent sont élaborés au niveau local au cours de réunions organisées par de petits groupements de communautés bahá’íes (la réunion de réflexion du groupement).
Le refus des bahá’ís de participer aux activités politiques partisanes peut-être aussi vu comme l’expression de sa détermination à créer une nouvelle réalité sociale [34]. On a déjà vu qu’une société hiérarchisée ne peut être renversée en participant à son système. Ceux qui s’y sont essayés ont fini par compromettre leurs valeurs et par perpétuer les structures sociales hiérarchiques et leurs valeurs concomitantes de pouvoir et de compétitivité. Ainsi, le refus des bahá’ís de participer à toute politique partisane est tout à fait logique et inhérent à sa stratégie de transformer la société. La participation à un parti politique non seulement créerait une désunion parmi les bahá’ís mais compromettrait aussi les valeurs mêmes sur lesquelles les bahá’ís essaient de bâtir leur nouvelle réalité.
Le fonctionnement de la communauté comme moyen de transformer la réalité.
Certains aspects du fonctionnement de la communauté sont en eux-mêmes des outils de transformation de la réalité. En établissant les plans pour l’expansion de la communauté bahá’íe, Shoghi Effendi, deuxième successeur de Bahá’u’lláh, insista à dessein pour que les bahá’ís recherchent toutes les tribus, les groupes ethniques minoritaires ou sociaux pour tenter de les faire entrer dans la communauté bahá’íe [35]. De cette manière, il créa concrètement la réalité du concept de Bahá’u’lláh de l’unité et de l’interconnectivité de l’humanité tout entière. En réunissant divers peuples et cultures très différentes et en résolvant les confrontations et les problèmes qui s’élèvent dans un environnement d’unité, de prière et d’amour, ‘Abdu’l-Bahá et Shoghi Effendi aidèrent les bahá’ís à vaincre les haines et les préjugés qui sont inhérents à toutes les cultures.
Un aspect très important du fonctionnement de la communauté bahá’íe est le mécanisme de la consultation [36]. Toutes les décisions prises par les conseils élus et leurs comités le sont par ce processus, mais ‘Abdu’l-Bahá encourage aussi son utilisation dans d’autres situations et les bahá’ís s’en servent pour prendre des décisions familiales ou personnelles, à leur travail, dans l’étude en groupes des Écrits et dans toutes les situations où l’on recherche conseils et vérité. Les règles de la consultation sont les suivantes : Dans une atmosphère de prières et de respect réciproque, tous les membres présents devraient exprimer leur opinion qui doit être traitée avec respect. Une opinion exprimée doit être détachée de celui qui l’exprime et discutée sans référence à des personnalités. On doit d’abord s’assurer de l’exactitude des faits avant de commencer à discuter des solutions possibles. ‘Abdu’l-Bahá décrit ainsi les qualités d’une consultation bahá’íe :
Pour ceux qui se concertent, les conditions requises sont en premier lieu la pureté d’intention, le rayonnement de l’esprit, le détachement de tout ce qui n’est pas Dieu, l’attrait pour les senteurs divines, l’humilité en présence des bien-aimés de Dieu, la patience et l’endurance dans les difficultés, et la servitude à son seuil exalté. [37].
Le processus de consultation bahá’í encourage donc tous les présents à participer. Cela permet aux femmes, aux minorités sociales ou raciales qui souvent ne se sentent pas à l’aise dans une réunion de donner leur avis. La consultation bahá’íe idéale offre un environnement sûr et encourageant dans lequel ces gens peuvent exprimer leur opinion. D’ailleurs, tout comme les hommes sont meilleurs en compétition, les femmes sont par nature meilleures dans l’environnement coopératif produit par le processus de consultation [38]. Dans cet environnement, elles se sentent à l’aise pour exprimer leurs idées, ce qui ne serait pas le cas dans un environnement très compétitif, et elles peuvent jouer un rôle majeur dans la vie communautaire bahá’íe. Ainsi, le processus de la consultation jette bas le processus de domination sociale par les éléments dominants de la société qui, en Europe et dans les Amérique, ont tendance à être des blancs de la classe moyenne ou supérieure.
Transformer la réalité du pouvoir et de l’autorité
Un autre aspect intéressant de la communauté bahá’íe est son effort pour séparer le pouvoir et l’autorité. Aujourd’hui, nul ne discute le fait qu’autorité et pouvoir sont indissolublement liés. Il est acquis que dans une société bien ordonnée et bien dirigée tout individu à qui l’on donne l’autorité reçoit nécessairement le pouvoir avec lequel appliquer cette autorité. Il est acquis que l’absence de pouvoir pour accompagner l’autorité engendre du désordre puisque les institutions ayant l’autorité n’auront pas le pouvoir de faire appliquer leurs ordres. L’esprit de la communauté bahá’íe est entièrement différent.
On essaie de séparer dans la mesure du possible l’autorité et le pouvoir. Nous avons vu que dans la communauté bahá’íe les individus ont ni pouvoir ni autorité. Les institutions élues ont l’autorité pour diriger les affaires de la communauté mais leur responsabilité est d’atteindre leurs objectifs en gagnant le soutien de la majorité de la communauté bahá’íe. En s’adressant en priorité aux membres des institutions élues, Shoghi Effendi déclare :
Gardons à l’esprit que la clé de la cause de Dieu n’est pas l’autorité dictatoriale mais l’humble fraternité, non le pouvoir arbitraire mais l’esprit de franche et affectueuse consultation. Rien, sauf un esprit réellement bahá’í ne peut espérer la réconciliation des principes de grâce et de justice, de liberté et de soumission, du caractère sacré du droit de l’individu et de celui du renoncement, de la vigilance, de la discrétion et de la prudence d’une part et de la fraternité de la franchise et du courage de l’autre. Shoghi Effendi [39].
En effet, dans de nombreux domaines, les institutions bahá’íes ont très peu de pouvoir pour imposer leur autorité si on les compare aux autorités centrales d’autres religions. Elles n’ont pas l’autorité doctrinale qui détermine la doctrine correcte, qui crée une nouvelle doctrine ou un nouvel enseignement théologique ou qui interprète les textes de l’Écriture. Elles n’ont donc pas, dans de nombreux domaines, le pouvoir et l’autorité que détiennent traditionnellement les autorités religieuses. Elles ont l’autorité de diriger la communauté dans l’élaboration de plans d’action pour les bahá’ís mais elles ne peuvent sanctionner ou utiliser d’autres moyens pour forcer les bahá’ís à accomplir ces plans. Par exemple, si les bahá’ís voulaient ignorer complètement le Plan de cinq ans actuel élaboré par la Maison universelle de justice, ils seraient libres de le faire sans crainte de sanction. La situation générale est ainsi résumée par la Maison universelle de justice :
L’autorité et les directives viennent des assemblées alors que le pouvoir d’accomplir les tâches appartient avant tout à l’ensemble des croyants [40].
Ce n’est que dans des cas extrêmes que les institutions élues peuvent exercer un certain pouvoir sur les bahá’ís, situations rarement rencontrées par le bahá’í moyen. Ce pouvoir s’applique à des bahá’ís qui dépassent certaines limites. Il comprend des sanctions administratives à l’encontre de bahá’ís qui ne respectent pas publiquement le code moral bahá’í : être ivre en public ou ne pas respecter la morale sexuelle bahá’íe d’une manière flagrante (à noter que ce que font les bahá’ís en privé ne concerne pas les institutions bahá’íes). Des sanctions plus sévères sont prises envers ceux qui cherchent à créer des divisions ou à introduire un esprit sectaire dans la communauté (avoir des opinions différentes n’est pas sanctionné, ce n’est que lorsqu’un individu cherche à créer une secte ou à regrouper des gens autour d’une telle opinion que des sanctions peuvent s’appliquer). La majorité des bahá’ís ne connaîtront jamais ce genre d’expérience.
On peut même dire que le leadership, que ce soit celui des personnes qui succédèrent à Bahá’u’lláh comme chefs de la communauté, ‘Abdu’l-Bahá et Shoghi Effendi, ou celle des institutions qui administrent aujourd’hui la communauté, n’est pas vu comme un instrument de pouvoir et d’autorité mais plutôt comme une opportunité de servir. Le nom de ‘Abdu’l-Bahá signifie le serviteur de Bahá’u’lláh. Il écrit :
Mon nom est ‘Abdu’l-Bahá. Ma qualité est ‘Abdu’l-Bahá. Ma réalité est ‘Abdu’l-Bahá. Ma louange est ‘Abdu’l-Bahá. L’assujettissement à la Perfection bénie est mon diadème glorieux et resplendissant, et la servitude envers la race humaine tout entière est ma perpétuelle religion… Je n’ai point de nom, de titre, de mention, de louange autre que ‘Abdu’l-Bahá, et je n’en aurai jamais d’autres. Ceci est mon ardent désir. Ceci est mon aspiration la plus profonde. Ceci est ma vie éternelle. Ceci est ma gloire sans fin. [41]
Shoghi Effendi signe ses lettres en anglais : Votre frère sincère, Shoghi et il considérait sa position comme celle de servitude envers le Maître ‘Abdu’l-Bahá :
Puis-je exprimer mon désir sincère que les amis de Dieu en tout pays ne me voient réellement que comme un frère, uni avec eux dans notre commune servitude au Seuil sacré du Maître et qu’ils ne s’adressent à moi, par écrit ou en paroles, que comme Shoghi Effendi, car je désire n’être connu par aucun autre nom que celui que notre Maître bien-aimé avait l’habitude de prononcer, nom qui, parmi d’autres désignations, est le plus apte à ma croissance et à mon avancement spirituel. [42].
L’esprit qui anime les institutions élues de la communauté bahá’íe devrait aussi être, selon la citation qui précède, un esprit d’humble camaraderie et de consultation franche et amicale. Les qualités que devraient s’efforcer d’avoir ceux qui consultent ensemble devraient inclure, comme décrit ci-dessus : pureté de motif […] détachement de tout sauf d Dieu […] humilité et modestie parmi ses aimés […] servitude à son Seuil exalté, toutes qualités qui sont les exactes opposées de celles normalement associées aux positions de pouvoir et d’autorité. Comme le dit ‘Abdu’l-Bahá concernant les membres de ces institutions élues :
Maintenant, ils (les membres) doivent s’engager à servir dans un esprit et une ambiance parfaits, avec un cœur sincère, attirés par les parfums divins et les confirmations de l’Esprit saint, consacrés au service aux autres, dans la promotion du Verbe de Dieu, dans la diffusion des fragrances de Dieu, l’éducation des âmes et la promulgation de la Paix majeure. [43].
On peut décrire cela graphiquement en disant que si le modèle actuel de structure sociale est celui d’une pyramide de pouvoir et d’autorité, le modèle de la communauté bahá’íe est celui d’une pyramide inversée où les bahá’ís ordinaires, au sommet, ont le pouvoir de faire avancer la religion et les institutions qui ont l’autorité sont au-dessous, au service des bahá’ís ordinaires [44].
Conclusion : la voie vers la transformation de la réalité
Nous l’avons indiqué ci-dessus, les baha’ís font beaucoup pour transformer la réalité. Ils sont en train de bâtir un système de gouvernement non hiérarchisé dans lequel les individus n’ont ni le pouvoir ni l’autorité. Leur processus de prise de décision consultative encourage ceux qui souvent se sentent le plus opprimés et aliénés dans la société moderne à s’exprimer et à participer activement dans la société. Ils ont établi des institutions dont le but est de les servir plutôt que d’exercer sur eux pouvoir et autorité. Leur but est la création d’une nouvelle conscience mondiale de l’unité de l’humanité.
Faire passer les êtres humains d’une réalité vers une autre est inévitablement un processus lent et minutieux. Les êtres humains sont à l’aise dans la réalité courante et il faut faire un effort pour la changer. Ce n’est pas parce qu’un être humain accepte l’argument intellectuel de la nécessité d’un changement de réalité n’implique pas que les attitudes profondément ancrées dans la culture peuvent être rejetées d’un jour à l’autre. Inévitablement le progrès est lent et avance par petites étapes, chacune bâtie sur la précédente.
Actuellement, la communauté bahá’íe est engagée dans le Plan de cinq ans, une des étapes de son développement. Les buts de ce plan sont étroitement alignés sur le projet de destruction des vieilles manières de pensée associées à la vieille réalité sociale hiérarchisée et de création de nouveaux schémas de comportement et de pensée en accord avec la nouvelle réalité sociale. Dans ses écrits, la Maison universelle de justice a mentionné une transformation de la culture de la communauté bahá’íe [45]. La vieille réalité dont la Maison universelle de justice dit vouloir libérer la communauté bahá’íe est une réalité dominée par :
la sorte d’activité religieuse qui caractérise la société en général, dans laquelle le croyant est membre d’une congrégation, la direction vient d’un individu ou de plusieurs qu’on suppose qualifiés pour ce rôle, et où la participation personnelle s’insère dans un programme dominé par des préoccupations d’une nature très différente. [46]
C’est dans le cadre des activités du plan de cinq ans actuel que la communauté met tout cela en application. Le but affirmé des plans actuels de la communauté bahá’íe est de passer du genre de communauté caractérisée par la passivité d’une congrégation à celui où le poids des activités et des responsabilités est supporté par l’ensemble des participants. La séquence de cours qui est au centre du plan place ces participants dans des schémas de comportement, comme de dire des prières et de mémoriser des extraits d’Écrits, qui les encourage à passer du matérialisme de la société actuelle vers une orientation plus spirituelle. Suivre ces cours les encourage à réfléchir sur les passages qu’ils étudient et, au fur et à mesure qu’ils passent d’un cours à l’autre ils s’habituent, dans un environnement contrôlé et encourageant, à exprimer leurs idées et à discuter les idées des autres. De là, ils peuvent utiliser leur compétence acquise dans les Fêtes des dix-neuf jours et dans les réunions de réflexion de leur communauté au cours desquelles ils ont d’autres occasions de pratiquer la consultation bahá’íe. Ainsi, un membre d’une communauté bahá’íe, ou quiconque participe à ces cours, est transformé, passant d’une participation passive comme dans une congrégation à une participation active universelle. Il a pour but de transformer la communauté bahá’íe qui, en grande partie, ressemblait à d’autres communautés religieuses où il y a un ou quelques chefs de la communauté qui dirige la vie collective et décide comment chacun doit penser, en une communauté où chacun a les compétences pour réfléchir à ce qui doit être fait et assez de confiance pour exprimer ses idées. Ce processus est aussi prévu pour se perpétuer sans avoir besoin de quelqu’un de compétent pour être autonome. Ceux qui passent les séquences de cours acquièrent la compétence pour faire passer les autres. Que des enfants et des jeunes participent aux activités en assure la viabilité.
Au cours de ces classes d’étude, ils sont encouragés à entreprendre des actes de service à la communauté sous la forme de visites à domicile, d’aide à des classes pour enfants, des groupes de jeunes, des réunions de prière et, éventuellement, ils peuvent enseigner eux-mêmes ces classes. En aidant ainsi les autres ils passent d’un mode de vie ou leur seule préoccupation est eux-mêmes à une approche de la vie ouverte vers les autres et à leur service. Ce qui veut dire que les gens ont des expériences qui non seulement les aident à se développer spirituellement mais leur donne aussi matière à réflexion. Ils commencent à réfléchir aux problèmes et aux opportunités que rencontre leur communauté et ainsi, en plus d’avoir appris à exprimer leurs opinions ils commencent à avoir des opinions qui valent la peine qu’on les exprime et qui sont des contributions positives au progrès de leur communauté.
Ayant atteint ce premier but d’avoir une communauté vibrante et active, dans laquelle tous les membres sont habitués à se consulter et à entreprendre les activités communautaires de base, la nécessité d’avoir un mécanisme pour diriger les activités et pousser la communauté vers la création d’une société alternative se fait sentir. Ce mécanisme est pourvu par la réunion de réflexion dans laquelle toute la communauté se rencontre afin de réfléchir aux plans passés et aux directives éventuellement reçues des institutions, d’inventorier les capacités humaines de la communauté, de sélectionner des buts réalistes à poursuivre et de se consulter sur un plan pour les atteindre. À la suite de la réunion de réflexion, toute la communauté se concentre sur la réalisation des plans élaborés. Puis, après un certain temps, une nouvelle réunion de réflexion est organisée afin d’évaluer les réussites et les échecs, d’apprendre des unes et des autres et de répéter le cycle. Si, jusqu’à présent, ces réunions de réflexion et ces cycles d’activité ont été centrés sur le besoin de croissance, la Maison universelle de justice a indiqué que, la communauté augmentant en nombre et en capacité, ce schéma d’activité changera d’orientation et se préoccupera des problèmes rencontrés par le voisinage dans son ensemble, pour se consulter dessus et élaborer des plans destinés à résoudre ces problèmes.
Ces cycles d’activité sont en fait très scientifiques dans leur fonctionnement. Analyser un phénomène, créer une hypothèse pour expliquer ce phénomène, concevoir une expérience pour vérifier cette hypothèse, réaliser cette expérience, analyser le résultat de l’expérience pour voir ce qu’on en apprend puis créer une nouvelle hypothèse, c’est suivre la méthode scientifique. Le cycle décrit dans le paragraphe précédent suit cette méthode : réunion de réflexion pour se consulter sur la situation, élaborer un plan d’action, appliquer ce plan, évaluer les résultats du plan puis se consulter sur un nouveau plan.
En plus de ces activités, les classes d’étude, les classes d’enfants, les activités de formation des jeunes, les réunions de prières, les réunions de réflexion et les activités de développement social et économique devraient être tous menées en sorte qu’elles soient ouvertes à tous et que tous y soient les bienvenus. Tous ceux qui désirent participer à cette nouvelle société alternative sont les bienvenus, qu’ils soient bahá’ís ou non.
Voici donc la base d’une nouvelle civilisation dans laquelle les buts élaborés par Shoghi Effendi et la Maison universelle de justice sont atteints et des progrès dans l’accomplissement et la prospérité sont accomplis. Le processus dans lequel la communauté bahá’íe est engagée maintenant a pour but de faire naître une communauté humaine :
* Dans laquelle les décisions sur les questions qui concernent les gens seront prises par les gens eux-mêmes au niveau local (évitant ainsi les maux d’une centralisation excessive).
* Dans laquelle chaque individu sera actif et impliqué dans ce qui se passe (la participation universelle).
* Dans laquelle l’équilibre du pouvoir entre les institutions gouvernantes et l’individu se déplace (L’autorité et la direction viennent des assemblées alors que le pouvoir d’accomplir les tâches réside avant tout dans l’ensemble des croyants).
* Dans laquelle la masse des gens qui sont aujourd’hui opprimés, silencieux et passifs parce qu’au bas de la pyramide du pouvoir acquiert du pouvoir et deviennent des agents actifs de la société (sortir d’un modèle de vie religieuse dans lequel le croyant est membre d’une congrégation).
______________________________________ Notes __________________________
[1] Peter Berger and Thomas Luckmann, The social construction of reality. Harmondsworth : Penguin, 1967.
[2] Hayden White, Tropics of discourse : essays in cultural criticism. Baltimore : John Hopkins University, 1978. Tropes en histoire : l’interprétation, historiquement déterminée, que fait un historien du matériau dont il dispose pour écrire sur une période donnée.
[3] Thomas Kuhn, The structure of scientific revolutions. Chicago : University of Chicago Press, 1962.
[4] Moojan Momen, The phenomenon of religions. Oxford : OneWorld, 1999. p. 149-53.
[5] Bahá’u’lláh, Florilège d’Écrits. Maison d’éditions bahá’íes, Bruxelles, Belgique 2006. § 70.
[6] Voir par exemple Bahá’u’lláh reliant « la résurrection spirituelle de tous les hommes » with « ce qui mène au progrès de l’humanité et au relèvement du monde. » (Bahá’u’lláh, Tablettes révélées après le Kitáb-i-Aqdas. Maison d’éditions bahá’íes, Bruxelles, Belgique 2006. chap. 7.16, 7.17.
[7] Bahá’u’lláh, Florilège d’Écrits, § 117.
[8] ‘Abdu’l-Bahá in London. London : Bahá’í Publishing Trust, 1987. p. 61-2.
[9] Sélections des Écrits d’Abdu’l-Bahá, Maison d’éditions bahá’íes, Bruxelles, Belgique 1983, chap. 206.
[10] Bahá’u’lláh quoted by ‘Abdu’l-Bahá in A traveller’s narrative, trans : E.G. Browne. Cambridge : Cambridge University Press, 1891. v. 2, p. 114.
[11 Cité par Shoghi Effendi in L’avènement de la justice divine. chapitre 20.
[12]] Promulgation of universal peace. Wilmette : Bahá’í Publishing Trust, 1982, p. 353.
[13] Promulgation of universal peace, p. 123.
[14] Tertius Chandler, four thousand years of urban growth : an historical census. Lewiston, NY : St. David’s University Press, 1987. En dépit du titre, le livre de Chandler commence son étude avec des cités datant de 3100 avant notre ère.
[15] Christopher Boehm, Hierarchy in the forest : the evolution of egalitarian behavior. Cambridge, Mass. : Harvard University Press, 1999.
[16] Ces critiques sont allées des critiques de la structure hiérarchique de la société de Karl Marx à la critique de l’hégémonie culturelle qu’imposent les sociétés capitalistes d’Antonio Gramsci. − voir note 19.
[17] Carol Gilligan, In a different voice : psychological theory and women’s development. Cambridge, Mass : Harvard University Press, 1982 ; Carol Gilligan, N. Lyons and T. Hanmer, Making connections : the relational worlds of adolescent girls at Emma Willard School. Cambridge, Mass : Harvard University Press, 1990.
[18] See for example Marilyn French, Beyond power : on women, men and morals. London : Jonathan Cape, 1985.
[19] Tom Jones and Richard McNally, « Pollution for export ? » UNESCO Courier, December 1998.
p. 10-13. Pour la critique de la compétitivité, voir : A. Kohn, No contest : the case against competition. Boston : Houghton Mifflin Company, 1986.
[20] Antonio Gramsci a développé l’idée de l’hégémonie du groupe dominant dans : Prison Notebooks ; see Dominic Strinati, An introduction to theories of popular culture. Routledge, London, 1995. See especially p. 165-9.
[21] Harmondsworth : Penguin, 1968.
[22] Christopher Boehm, « Egalitarian behavior and reverse dominance hierarchy », Current Anthropology, v. 34/3, (June 1993). p. 227-254. This argument is also made in Marilyn French, Beyond Power.
[23] Augusto Lopez-Claros and Saadia Zahidi, « Women’s empowerment : measuring the global gender gap ». Geneva : World Economic Forum, 2005. Les femmes désanvantagées existent aussi dans les pays développés, voir : « National Statistics Office, social focus on women and men ». London : The Stationery Office, 1998.
[24] Bahá’í International Community, The prosperity of humankind. New York : Bahá’í International Community United Nations Office, 1995. p. 6-8. Available on-line at : http ://www.bicun.bahai.org/95-0303.htm >
25 ‘Abdu’l-Bahá, Sélections des Écrits d’Abdu’l-Bahá, chap.21.
[26] Liberté et égalité étaient des buts de la Révolution française. Une société sans classe et une liberté humaine totale seraient, selon Karl Marx et Friedrich Engels le résultat de la Révolution communiste.
[27] Voir par exemple, Wendi Momen, Understanding the Baha’i Faith. Edinburgh : Dunedin Academic Press, 2006, poour une présentation générale. Pour des points plus précis les références sont données plus bas.
[28] Moojan Momen, The Bahá’í Faith : a short introduction. Oxford : OneWorld, 1997. p. 77-78.
[29] Voir une compilation de textes officiels : « The spiritual character of Bahá’í elections », Compilation of Compilations, préparé par la Maison universelle de justice 1963-1990. 2 v. [Sydney] : Bahá’í Publications Australia, 1991. v. 1, p. 315-18.
[30] Shoghi Effendi, Dieu passe près de nous. Maison d’éditions bahá’íes, Bruxelles, Belgique 1976, chap. XXII.
[31] See for example the centralization of power and the concept of « control » in L. Anderson, « Organizational theory and the study of state and local parties », in W. J. Crotty (ed.), Approaches to the study of party organization. Boston : Allyn and Bacon, 1968. p. 375- 403. Pour un exemple de ce processus, voir : the removal from local control of the police by national government in Chris A. William, « Britain’s police forces : forever removed from democratic control ? » History and Policy, policy paper 16, viewed at : http ://www.historyandpolicy.org/archive/policy-paper-16.html > (on 18 February 2006)
[32] Bahá’í International Community, Turning Point for All Nations, New York, 1995, p. 7 (can be viewed on-line at : http://statements.bahai.org/pdf/95-1001.pdf >). Moojan Momen, The Bahá’í Faith : a short introduction, Oxford : OneWorld, 1997, p. 80-81.
[33] Peter Smith and Moojan Momen, The Bahá’í Faith 1957-1988 : a survey of contemporary developments, Religion, v. 19 (1989), p. 63-91, see p. 73-5.
[34] Directives from the Guardian (compiled by Gertrude Garrida), New Delhi : Bahá’í Publishing Trust, 1973. p. 55-7.
[35] Augmenter la diversité de la communauté bahá'í fut un des principaux buts debuts et des réussites des plans internationaux successifs. Par exemple, voir la liste des tribus etc es groupes ethniques représentés dans The Bahá’í Faith 1844-1963 : information statistical and comparative. Haifa : Hands of the Cause Residing in the Holy Land, [1963], p. 15-20 ; and the statement in The seven year plan, 1979-1986 : statistical report. Haifa : Universal House of Justice, 1986. p. 61-64.
[36] See John E. Kolstoe, Consultation : a universal lamp of guidance. Oxford : George Ronald, 1985.
[37] ‘Abdu’l-Bahá, Sélection des Écrits d’Abdu’l-Bahá, chap. 43..
[38]Voir note 16.
[39] Shoghi Effendi, Bahá’í administration. Wilmette, IL : Bahá’í Publishing Trust, 1968. p. 63-64.
[40] From a letter of the Universal House of Justice to Continental Boards of Counsellors and National Spiritual Assemblies, October 1, 1969, in The Continental Boards of Counsellors, Wilmette, IL : Bahá’í Publishing Trust, 1981. p. 37-38. See also words of Shoghi Effendi in Citadel of Faith : messages to America 1947-1957. Wilmette, IL : Bahá’í Publishing Trust, 1965. p. 130-31.
[41] Cité dans Shoghi Effendi, L’ordre mondial de Bahá’u’lláh. Maison d’éditions bahá’íes, Bruxelles, 1991. Chap. 6 « La dispensation de Bahá’u’lláh », 6.3.
42] Shoghi Effendi, Bahá’í administration, p. 25 (traduction personnelle).
[43 Bahá’í world Faith. Wilmette, IL : Bahá’í Publishing Trust, 2 ed. 1976. p. 403 (traduction personnelle).
[44] Je remercie le Dr Wendi Momen pour cette suggestion.
[45] Ridván message of the Universal House of Justice to the Bahá’í world, Ridván 2000 ; can be viewed on line at : http://bahai-library.com/published.uhj/ridvan/2000.html >
[46] Letter of the Universal House of Justice to an individual, dated 22 August 2002 (traduction personnelle).
On peut ajouter à ce brillant exposé, le souci de transparence, puisque tous les textes Bahá’ís sont accessibles librement dans un nombre de langues tout à fait considérable. Enfin, il est fascinant de constater la diversité des cultures qui ont embrassé cette fois, et s'y sont acculturées.
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