lundi 16 février 2009

Parodie de procès, en Iran, pour les sept dirigeants baha'is

Par Moojan Momen

Note de l’éditeur : Iran Press Watch est heureux de partager avec ses lecteurs cet éditorial, aussi brillant que bien informé, du Dr Momen et les invite à le commenter ou à proposer leur propre texte sur ce site.

L’Iran est un pays totalitaire. Une prétention à la démocratie et des élections régulières n’ont pas grand sens quand tous les candidats à ces élections doivent être acceptables aux yeux de la direction religieuse du pays et que les lois votées par le parlement doivent être ratifiées par cette même direction. C’est cette direction religieuse, présidée par Khameini, qui contrôle le pays et elle le fait d’une manière totalitaire.
Pour être florissants, les régimes totalitaires ont besoin de créer des menaces extérieures et intérieures dans le but de persuader leur population que les mesures draconiennes prises sont nécessaires, que les libertés sont supprimées pour le bien du peuple et que la situation économique dramatique n'est pas du fait du gouvernement mais des ennemis de l’extérieur et de l’intérieur. Les gouvernements autoritaires savent que plus leurs mensonges sont énormes plus ils sont convaincants aux yeux des gens. Ils veulent pouvoir décrire la bataille dans laquelle ils sont engagés comme une bataille cosmique contre les forces du mal qui menacent d’engloutir les forces de lumière, ce qui leur permet de peindre leurs ennemis de la manière la plus noire possible. Plus leurs ennemis sont méchants plus ils apparaissent comme des héros. L’économie plonge rapidement dans une situation déplorable (l’immense richesse pétrolière du pays étant aspirée dans les comptes bancaires étrangers des dirigeants religieux) ? La corruption est endémique et l’usage des drogues atteint des niveaux épidémiques ? Les plus pauvres, que le régime avait promis d’aider, se retrouvent encore plus pauvres qu’avant ? Qu’importe ! tout cela peut être balayé si l’on trouve l’ennemi idoine qui détournera l’attention des gens des réalités de leurs propres vies et qui permettra au dictateur de leur faire croire qu’un grave danger les menace.
Depuis la Révolution iranienne de 1979, le gouvernement islamique d’Iran a tenté de décrire les baha'is comme « l’ennemi de l’intérieur ». Le gouvernement prétend que les baha'is sont une des principales forces du mal du pays. Les bahá’ís complotent avec des ennemis extérieurs comme les États-Unis et Israël pour saper le pays. Les baha'is font des choses (généralement non précisées) qui perturbent le pays. Les baha’is essaient de détruire l’islam. Plus le pays plonge dans le désastre économique et plus le gouvernement a besoin d’accentuer la gravité de la menace posée par les baha’is qui expliquerait leur échec économique.
Une parodie de procès
L’une des armes principales d’un régime autoritaire c’est le procès truqué. Staline s’en est servi dans les années trente pour consolider son pouvoir. C’est une manière de montrer que le gouvernement agit et prend des initiatives pour protéger la nation des forces du mal. Avec le juge et l’avocat général déjà contrôlés par le gouvernement, les avocats de la défense rendus impuissants par leur ignorance des accusations et des preuves à charge et à décharge, le résultat est prévisible. Le gouvernement peut alors annoncer à grand renfort de fanfares que le procès s’est déroulé selon la loi du pays et que les accusés ont été déclarés coupables de ce que le gouvernement les accusait, validant ainsi les graves menaces contre la nation annoncées par ce gouvernement.
C’est à une telle parodie de justice que nous allons bientôt assister en Iran. Les sept membres du Conseil directeur des baha’is d’Iran sont emprisonnés depuis plus de neuf mois et on vient juste d’annoncer que leur procès commencera la semaine prochaine. (voir http://www.iranpresswatch.org/2009/02/featuretrial-of-seven-bahai-leaders/). Les accusations sont : espionnage au profit d’Israël, blasphèmes et propagande contre la République islamique. Depuis qu’Ahmadinejad est au pouvoir (2005) il a obstinément poursuivi une campagne systématique anti-baha’ie, avec l’accord de Khameini évidemment puisque rien ne peut se faire sans cet accord.
Cette campagne a consisté, premièrement en une série d’articles dans la presse gouvernementale et à la télévision attaquant les baha’is par de fausses accusations et des documents falsifiés, suggérant de ridicules théories de complots et des « faits » historiques improbables, deuxièmement en un étranglement économique de la communauté baha’ie, expulsant ses membres de leur emploi, fermant leurs commerces, cherchant à les couper de toute vie éducative et culturelle de la nation (en les renvoyant des universités par exemple) et troisièmement en perturbant leur vie quotidienne par des détentions arbitraires et par l’emprisonnement des dirigeants baha’is.
Depuis des années la presse gouvernementale et les médias de l’État répètent à l’envie ces accusations d’espionnage pour Israël, de blasphèmes et de propagande anti-République islamique. Neuf mois n'étaient donc pas nécessaires pour élaborer des preuves et juger ces sept baha’is maintenant. Il est clair que la date du procès est déterminée par d’autres facteurs : des élections prochaines au cours desquelles Ahmadinejab devra défendre ses résultats économiques catastrophiques ; l’attention de la communauté mondiale distraite par la situation financière et d’autres problèmes ; le fait peut-être aussi qu’on dit que Maître Shirin Ebadi, la seule personne qui fut assez courageuse pour se proposer comme avocate pour défendre des baha’is, devrait être à l’étranger. Tous ces facteurs font que le moment paraît bien choisi pour monter un procès parodique.
Les accusations contre les baha'is
En étudiant les accusations on découvre vite qu’elles sont absurdes et portées précisément pour nourrir les préjugés et les peurs de la population iranienne. Elles font le lien entre les baha'is, l'ennemi intérieur, et Israël considéré par le régime comme l'un des deux plus grands ennemis extérieurs. Elles font des bahá'ís les ennemis des Saintes Figures de l'islam chiite alors que le deuil annuel pour la mort de l'Imam Huseïn vient juste de passer. (voir http://www.iranpresswatch.org/2009/01/recalling-imam-husayn-and-his-martyrdom/). Elles donnent des baha'is une image de fauteurs de trouble et de perturbateurs.
L'accusation d'espionner pour Israël est sans doute la plus ridicule de toutes. Les baha'is, sur ordre du gouvernement, sont exclus des postes de fonctionnaires, ils ont été renvoyés de la plupart des entreprises privées, ils n'ont accès à aucun secret militaire ou politique ; quelle information pourraient-ils bien avoir qui intéresserait Israël ? Quel danger ces sept personnes peuvent-elles faire courir à l'État iranien quand, avant d'être expulsées de leur profession par le régime elles étaient : psychologue, entrepreneurs, ingénieur agricole, enseignante, travailleur social et ophtalmologiste ? D'ailleurs, comment des gens qui sont étroitement surveillés par les services secrets iraniens depuis trente ans pourraient-ils communiquer avec Israël ?
L’accusation évoquera sans doute le fait que le Centre mondial baha’i se situe dans la région de Haïfa-Acre, en Israël. Ceci découle cependant d’une évolution historique qui remonte à quatre-vingts ans, antérieure à l’établissement de l’État d’Israël. La responsabilité en incombe justement aux deux plus grands dirigeants musulmans du monde de l’époque, le sultan ottoman et le chah de Perse qui étaient les instigateurs de l’exil du fondateur de la Foi baha’ie à Acre, située alors dans la province de Syrie, partie intégrante de l’empire ottoman, ce qui a conduit à l’établissement du Centre mondial baha’i dans cette région. Si quelqu’un doit être tenu responsable de la présence des baha’is en Israël, c’est bien le gouvernement persan de l’époque. Si le gouvernement iranien était cohérent dans ses accusations, ne devrait-il pas aussi accuser les autorités islamiques responsables du Dôme du Rocher et de la mosquée al-Aqsa à Jérusalem d’être des agents israéliens, simplement en raison de la présence de ce site, le troisième lieu le plus sacré du monde musulman, dans ce pays ?
L’accusation de blasphème à l’encontre des Saintes Figures de l’Islam est également une charge ridicule. Dès le début de son histoire, la Foi baha’ie, et avant elle, la Foi babie, ont fait preuve du plus grand respect envers les Saintes Figures de l’Islam. Voila comment Baha’u’llah, fondateur de la Foi baha’ie qualifie le Prophète Muhammad :
« Que la louange et la paix soient sur lui dont la venue a fait rayonner le visage de Bathá et dont le vêtement a répandu la fragrance de ses douces saveurs sur l'humanité tout entière - lui qui est venu pour protéger les hommes de ce qui leur nuirait dans le monde d'ici-bas. Exalté, immensément exalté est son rang au-delà de la glorification de tous les êtres et sanctifié de la louange de la création tout entière. Par sa venue, le tabernacle de la stabilité et de l'ordre fut dressé à travers le monde et l'étendard de la connaissance fut hissé parmi les nations. Que les bénédictions reposent sur sa famille et sur ses compagnons, grâce à qui l'étendard de l'unité et de l'unicité de Dieu fut brandi et les bannières du triomphe céleste furent déployées. Grâce à eux, la religion de Dieu fut fermement établie parmi ses créatures et son nom fut magnifié parmi ses serviteurs. » (Tablettes de Baha’u’llah, p. 171)
En outre, Baha’u’llah se lamente des souffrances de Muhammad en ces termes :
« L'animosité dont il était l'objet crût à un tel point que tous cessèrent d'avoir des relations avec lui et ses compagnons ; car chaque fois qu'il allait visiter un disciple, sa venue était pour ce dernier une cause de persécutions. Je te citerai ici ce verset, qui, si tu en saisissais le sens, te ferait gémir tout le reste de ta vie sur ses persécutions ; il a été révélé à Muhammad au milieu des pires tristesses et des pires tourments, lorsque tout le monde était contre lui. Gabriel, […] lui dit : « L'éloignement des infidèles pour la vérité te pèse ; certes, si tu le pouvais, tu désirerais pratiquer un trou dans la terre, ou tu prendrais une échelle pour monter au ciel ! » (Qur’án 6: 35) Autrement dit, il n'y avait pas moyen pour Muhammad, à moins de se cacher sous terre ou de s'envoler au ciel, d'échapper aux tourments causés par les infidèles ! » (Baha’u’llah, Le Livre de la Certitude, p. 109-110)
Le fils de Baha’u’llah, son successeur, Abdu’l-Baha, a souvent défendu l’islam et vanté les mérites du prophète Muhammad lors de ses voyages en Europe et en Amérique du Nord. À Londres, par exemple, Abdu’l-Baha écrivit ces mots dans un journal chrétien, « The Christian Commonwealth » : « Il en était ainsi avec les nations arabes qui, incultes, furent persécutées par les gouvernements grec et persan. Quand la Lumière de Muhammad jaillit, toute l’Arabie fut inondée de lumière. Ces peuples opprimés et dégradés devinrent si éclairés et si cultivés que les autres nations s'imprégnèrent de la civilisation arabe émanant d’Arabie. Ceci est la preuve de la mission divine de Muhammad. (29 septembre 1911)
Et aujourd’hui, à travers le monde, des millions de chrétiens, juifs, hindous et bouddhistes en sont venus à reconnaître Muhammad en tant que véritable messager divin en raison de leur acceptation de la religion baha’ie. Peut-on accuser ceux qui acceptent l’autorité de tels enseignements, et qui n’ont jamais manifesté de leur vie la moindre contradiction avec ceux-ci, de blasphème contre les Saintes Figures de l’Islam ?
La troisième accusation, celle de propagande contre la République Islamique est à nouveau totalement invraisemblable concernant ces sept personnes en particulier et les baha’is en général. Le but principal de Baha’u’llah est d’apporter l’unité au monde et il a fortement encouragé ses croyants d’éviter tout conflit ou discorde et d’être loyaux au gouvernement en place. Il écrit :
« Dis : Ô peuple, ne semez point les germes de la discorde parmi les hommes et abstenez-vous de toute querelle avec votre voisin, car le Seigneur a remis le monde et ses cités aux soins des rois de la terre et il a fait d'eux des emblèmes de sa propre puissance, en vertu de la souveraineté qu'il lui a plu de leur conférer. Il a refusé de garder pour lui-même aucune part de cette domination du monde. (Baha’u’llah, Florilège d’écrits p. 139) »
Les recommandations aux baha’is sont claires. De la part de Shoghi Effendi, la troisième figure historique de la Foi baha’ie, on lit :
« L’attitude des baha’is doit être à la fois une obéissance complète au gouvernement du pays où ils résident et aucune ingérence que ce soit dans les questions ou affaires politiques. » (Lights of guidance, p. 449)
L’historique est donc limpide : Depuis que Baha’u’llah a annoncé sa mission pour la première fois dans les années 1860, à aucun moment les baha’is n’ont comploté ou fait campagne contre l’ordre public, ni conspiré pour renverser un quelconque gouvernement. Rien n’indique que ces sept accusés aient jamais dévié de ces principes.
Ainsi, les accusations qui sont dirigées contre eux ne sont que des amalgames qui constituent la rhétorique habituelle du gouvernement iranien contre les baha’is. Le gouvernement espère qu’en répétant constamment cette litanie d’accusations, elles seront admises en tant que vérités. La parodie de procès n’est qu’une arme de plus dans la panoplie des régimes totalitaires. Ils peuvent utiliser cette occasion pour répéter et réaffirmer les mensonges déjà propagés auparavant, dans l’espoir qu’ils deviendront des faits établis dans la pensée du peuple. En ayant un contrôle complet des médias ils peuvent publier à souhait n’importe quel mensonge et théorie de conspiration au sujet des baha’is qui n’ont, eux, aucun moyen pour répondre.
Il est à espérer (et des signes encourageants commencent à apparaître) que le peuple iranien saura, en temps voulu, voir à travers le barrage de mensonges et de faits travestis qui leur est constamment présenté concernant la foi baha’ie.
Traduction Fahran Yazdani, Pierre Spierckel
15 février 2009

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